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davantage. Et avec lui, enfin, les deux cent cinquante Anglais des deux sexes continuaient à m’envier l’amitié visible et les longs entretiens que Sa Grâce voulait bien m’accorder.

A l’humeur des uns, comme à l’empressement des autres, je remarquai bientôt qu’on me considérait mieux. Cette considération s’augmenta quand on eut vu la faveur particulière que lady Hyland et lady Lucy me marquaient.

On me prit pour un personnage. Sans abuser de l’erreur, je profitai des avantages qu’elle m’offrait. Je ne fus plus heurté dans les couloirs, ni foulé dans l’escalier. On se desserrait pour me faire place à table. Les journaux, les magazines ne me furent plus sournoisement dérobés. Aux bains on ne me prit plus mon tour, et le temps que j’y restais n’amena plus les réclamations ordinaires.

Quoiqu’il nous vienne d’Angleterre, je n’oserais appeler snobisme un sentiment en soi si noble et si désintéressé, d’autant moins, ajouterais-je, que je profitais moi-même de l’admiration que le noble lord attirait sur lui. Elle aurait pu, cependant, me paraître excessive, si déjà, en diverses rencontres, je ne m’étais aperçu de l’ivresse particulière à laquelle le contact ou la vue d’un pair d’Angleterre exposent les Anglais les plus raisonnables.

Pourvu que son état soutienne son rang, ils l’aiment d’avance, et mis en présence supportent tout de lui avec enchantement. On les voit rougir de plaisir à son approche et, s’il leur parle, la joie qu’ils contiennent augmente cette rougeur et fait briller leurs yeux d’un éclat inaccoutumé. Ils ont le lord dans le sang, si l’on peut dire, comme l’Espagnol la danse, l’Allemand la musique et le Français la Révolution. Leur passion pour les chevaux et Shakspeare est moins violente, la satisfaction et l’orgueil qu’ils en tirent moins fondamentaux. Le Livre de la Pairie a un débit considérable, et si loin qu’on aille, on le trouve, comme la Bible, entre toutes les mains.

Nous en avions six exemplaires abord que la présence de lord Hyland avait encore fatigués. Celle de lady Hyland et de lady Lucy, en ajoutant un élément nouveau à la curiosité, rendit le jeu complet, si je puis dire. Tout le monde, avant moi, avait lu et relu de qui elles étaient filles, petites-filles, tantes ou cousines, et que, duc d’E***, comte de K*** et vingt-deuxième baron Hyland, le noble lord remontait encore par sa mère à Howel le Bon, célèbre dans les chroniques galloises par les lois et les chansons qu’aidé des bardes, il avait composées pour ses sujets.


« Que voulez-vous, les lords sont les lords, me répondit le commandant Hector que j’avais mis sur ce sujet, et vous voyez