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Celle-ci ne lui était précisément hostile qu’à cause de son intégrité. Elle ne lui reprochait autre chose que de ne point l’avoir fait profiter elle-même des avantages qu’une illustre amitié aurait dû procurer. L’humeur, chez cet homme excellent, ne fit point tort à sa justice. Sur chaque point il me confirma ce que son bourreau m’avait dit. Il ajouta seulement, qu’après les éclats de sa publique indignation, Samuel retrouvait du moins, dans la vie ordinaire, un calme, une douceur, une patience que le noble lord n’avait point et que, plus encore que son tempérament, sa situation sans doute ne comportait point.

En dissipant mes doutes, ces assurances me permirent de mieux m’intéresser au sort du missionnaire. Je m’associai aux appréhensions de son noble ami, si bien que, lorsque arrivèrent enfin les nouvelles de Samuel et de notre délivrance, je me précipitai aux informations, mais non pas si vivement que les deux cent cinquante Anglais qui, je dois le dire, dès que le lord nous eut quittés, se relâchèrent singulièrement des pratiques auxquelles ils s’étaient jusqu’alors soumis pour lui plaire.

Point de lettres de Samuel lui-même, mais toutes celles des diverses stations laissées derrière lui, annonçaient qu’il s’était encore enfoncé au delà des lacs intérieurs et sans doute perdu. Les unes disaient qu’il devait être mort, les autres entre les mains des traitans arabes, — ce qui eût été pire.

Touché au dernier point de cette terrible incertitude, lord Hyland envisageait pourtant les choses avec fermeté. Soit que l’amour de la famille les retînt près des rivages, soit que la protection de leurs consuls fût plus efficace que celle des représentans des autres nations, il me fit entendre que les missionnaires anglais risquent si peu d’être martyrisés, qu’il ne lui aurait pas déplu, pour l’exemple, que Samuel eût eu l’occasion de témoigner par son sang des vérités qu’il enseignait.

Il est vrai que, décidé à rejoindre immédiatement l’apôtre, il nous eût quittés à Aden même, s’il n’avait su trouver une meilleure occasion à Suez, où, en effet, après nous avoir une dernière fois réunis sur le pont, il nous fit assez bien sentir qu’en nous abandonnant, il abandonnait l’Europe à elle-même.


XI

A vouloir ainsi jeter son filet sur le monde, ce pêcheur d’hommes imposait d’une certaine façon. Tout en le trouvant détestable, — et particulièrement aux siens, — je ne pouvais m’empêcher d’admirer l’ampleur de son zèle, en même temps que la suite passionnée et les soins qu’il donnait à son universelle