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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/763

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« Il m’entretenait ainsi, et, bien que je ne gagnasse rien sur lui pour l’essentiel, il me plaisait par une douceur de caractère qui plusieurs fois me fit rougir des emportemens du mien. L’affection que ce vieillard voulut bien me témoigner attira la mienne, et ce fut d’ailleurs avec un regret sincère des deux parts qu’après de longs mois nous dûmes nous séparer.

« Ajoutez, reprit-il, que sa patience à me supporter dans ses Etats et les égards qu’il eut, ne lui furent inspirés que par un naturel sentiment de politesse, qui, dans sa simplicité, me parut plus digne et à la fois plus distingué que l’empressement habituel que je rencontre et que vous avez remarqué vous-même que les habitans du Samson me montraient.

« Mais de ceux-ci non plus ne disons point de mal, se hâta-t-il d’ajouter. S’il vous a été permis de les trouver un peu ridicules, ce ne serait pas bien à moi de vous y exciter. Je leur dois beaucoup plus qu’ils ne pensent. Le trop faible témoignage que je leur ai donné de ma reconnaissance ne m’a pas, vis-à-vis de moi, rendu quitte envers eux. Je ne puis oublier que sans l’unanime bonne volonté qui encouragea celle de notre cher commandant, les nouvelles que j’eusse eues de Samuel me fussent arrivées trop tard, et que les cinq jours qu’ils m’accordèrent à Aden me permirent de revoir mon malheureux ami presque encore vivant. »


XVII

Après s’être recueilli quelques instans, lord Hyland avait déjà commencé à me dire la mort de Samuel et comment, n’ayant eu ni le temps ni la possibilité de lui faire effroi des exigences de Dieu, son silence et ses embrassemens avaient suffi comme ils eussent suffi, hélas ! à celle qui l’appelait son fils et dont, après le dernier soupir, tout le visage encore lui pardonnait, — lorsque, rentraîné malgré lui au pays même par l’ivresse de ses pensées, il me peignit d’abord la lente immensité du fleuve, la prairie géante, les grands arbres épars qui annonçaient la forêt voisine, la forêt elle-même, et, avec les vivans mystères qu’elle recèle, le feuillage ardent et coloré comme les oiseaux, odorant comme les fleurs.

Il s’élevait à mesure au-dessus de tout ce que j’aurais pu prévoir de sa part, semblait mû par un instinct puissant. Il n’y avait pas jusqu’à sa négligence à ne me nommer ni les lieux ni les choses qui n’ajoutât une majesté quasi divine aux visions qu’il m’en donnait.

Tout en parlant, il pliait et repliait entre ses doigts ma lettre d’introduction, c’est-à-dire la lettre de propagande que le fidèle