Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/764

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

John lui avait remise, et que, sans y prendre garde, il jeta loin de lui.

Il est vrai que, suspendu à ses lèvres, je n’y pris garde moi-même que lorsqu’il m’eut montré, au-dessus du fleuve, la ville juchée sur un coteau, les maisons, faites comme nos paniers d’abeilles, les peintures enfantines qui en décoraient les portes, et, piqués dans la paille, aux chapeaux des toits, mille petits drapeaux de toutes les couleurs. Humbles essais; mais qui le touchaient davantage que ceux du luxe inepte qu’il m’avait dénoncé.


« Le roi, reprit-il, m’installa dans le palais rustique qu’il avait fait bâtir pour Samuel à côté du sien. Il n’avait pas craint l’étranger, venu seul et sans armes, qui n’apportait que des paroles. « Écoutons ses enseignemens, s’était-il dit, ils peuvent être utiles. Les hommes ne savent pas tous les mêmes choses. S’il le désire, nous lui dirons ce qu’il ignore; de lui nous apprendrons volontiers ce que nous ne savons pas. »

« De Samuel, en effet, ils avaient appris l’usage de la charrue, la taille des arbres, le filtrage de l’eau. Et tandis que John essayait de les initier à toutes les beautés de la pairie anglaise, je m’occupais à leur montrer comment se dresse une meute. De même qu’à la chasse je les aidais à la guerre, et, comme en tout pays les lois de l’hospitalité sont réciproques, je les suivis en diverses expéditions, où je me conduisis, je pense, avec honneur.

« De leur côté, ils nous enseignèrent des remèdes par lesquels nous fûmes guéris. En déridant ensuite l’hypocrisie que mes rigueurs imposaient au pauvre John, leur rire et leurs enfantillages lui communiquèrent une certaine gaieté qui lui manquait auparavant. La mienne aussi s’éclaircit aux francs éclats de la leur. Elle n’eut plus cette sécheresse qui, sur le Samson, semblait vous déplaire. A l’âpre gaieté de l’apôtre succéda un meilleur sourire, et, il faut bien le dire, avec un plus juste sentiment de notre commune insuffisance, une meilleure amitié pour tous.

« Grâce à eux et au long séjour que je fis dans ces solitudes, je m’avisais peu à peu de mille choses que j’ignorais ou n’avais jamais su voir. L’unique idée qui jusque-là m’avait enlevé aux autres et à moi-même, m’avait en même temps, si je puis dire, dépossédé du monde. A peine si je savais que le soleil m’éclairât et qu’il y eût un ciel semé d’étoiles. Si, aussi bien que du déluge, je vous parlais des merveilles de la création, ce n’était que par métaphore, et pour tirer du spectacle de la nature les preuves ordinaires, lesquelles autant que toutes preuves contraires, — je vous le répète ici plus hardiment que tout à l’heure, — je repousse, ne