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les Chinois. Des gens du métier tenaient cette expédition pour un chef-d’œuvre, et nul ne niait que, du moins, l’homme capable d’entreprendre et d’achever un tel coup de main ne fût un soldat. Il avait eu la persévérance dans l’audace, l’avait inspirée à ses troupes, attentif à s’assurer par la prudence de ses mesures contre la témérité de son dessein, indifférent seulement au pillage qui avait égalé, récompensé, et quelque peu déshonoré le succès. Ce désordre avait fait tort au vainqueur lui-même. Une dotation demandée en sa faveur par le gouvernement, mais proposée sans insistance, avait été refusée par la Chambre, et le nom de Palikao eût été la seule récompense du général, si l’empereur n’y eût ajouté 500 000 francs pris sur sa cassette. Le bâton de maréchal, que le nouveau comte espérait, avait été donné à Lebœuf. Et quand celui-ci, devenu ministre de la guerre, eut à désigner en 1870 les chefs de nos troupes, il oublia dans le gouvernement de Lyon son compétiteur. A deux lettres, où Montauban rappelait que ses services le désignaient pour un emploi plus actif, le ministre, puis l’empereur, avaient répondu par une fin de non-recevoir. Quand on vit à l’œuvre ceux qu’on lui avait préférés, l’inaction de ce soldat qui avait obtenu à nos armes le dernier sourire de la fortune fit scandale. La disgrâce s’expliquait d’autant moins que ce soldat n’était pas un de ces hommes à la fois utiles et incommodes par lesquels il est dur d’être servi et même sauvé, moins encore un de ces censeurs qui épouvantent les cours par l’importunité de leur vertu. Ce n’était pas Caton qu’il rappelait par sa raideur, mais plutôt, — par l’allure de la vie, le scepticisme du caractère, l’aptitude à s’entremettre avec qui voulait l’employer, — Dumouriez. Et comme on ne reconnaissait pas à Napoléon III le droit d’avoir les scrupules d’un Louis XVI, on s’indignait qu’il n’eût pas opposé à l’invasion prussienne, en marche de nouveau vers l’Argonne, l’homme le plus capable peut-être de renouveler Valmy.

En Montauban comme en Bazaine la France ne voyait et ne cherchait que l’épée. En Trochu elle pensa par surcroît trouver l’homme. Celui-là avait choisi la carrière des armes, il ne s’y était pas enfermé : il n’était pas seulement un manieur de troupes mais d’idées, agent de la force par métier, mais par vocation serviteur de la justice, soucieux qu’elle régnât dans la vie des peuples et qu’elle gouvernât la sienne, ami scrupuleux de la vérité, incapable de la taire, et mettant son point d’honneur militaire à la déserter d’autant moins qu’il y avait plus de périls pour elle et pour lui. Au 2 décembre, quand presque tous les officiers acclamaient dans l’avènement d’un Napoléon le retour de notre prépondérance militaire, Trochu avait pensé qu’où l’armée