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les fautes, il ne contestait que le droit de punir. Cette unique défense, qui, elle-même, était une condamnation, tomba et mourut dans le deuil, accusateur et muet, de l’Assemblée. Puis les députés quittèrent la salle comme la chambre d’un mort.

Ce néant était une victoire pour le parti de l’émeute. Le compromis qu’il redoutait avait échoué. La certitude que le gouvernement gardait, sans en masquer un trait, sa face de défaite, allait porter à l’extrême les colères déjà allumées dans Paris.

La situation des députés républicains était moins simple. D’une part ils renonçaient moins que jamais à obtenir par un vote de la Chambre un gouvernement nouveau, et ils venaient de constater une fois de plus que la Chambre, pour lutter contre le pouvoir encore debout, ne trouvait pas en elle-même de force. Il était donc nécessaire de mettre cette assemblée, faite pour subir les influences, sous une pression contraire et supérieure à la volonté du gouvernement. Un déploiement de la garde nationale autour du Corps législatif, et la menace contenue dans toute manifestation, même pacifique, de masses armées décideraient sans doute la Chambre à céder le lendemain au vœu public et à son propre vœu. D’autre part, comme la régence avait rendu autorité aux artisans de l’empire absolu, la logique de la peur, qui va droit aux extrêmes, amenait certains à se demander si le retour aux hommes de 1852 ne conduirait pas aux pratiques du 2 Décembre, et à mesure que s’accumulaient les difficultés autour du pouvoir, les bruits de coup d’État avaient trouvé plus de créance dans le parti républicain. L’attitude de Montauban à la séance de nuit semblait aux inquiets une preuve que des projets menaçans pour l’opposition étaient formés. La présence de la garde nationale les garantirait contre ce péril et contre un dernier danger : elle tiendrait en respect les meneurs de la démagogie, les empêcherait de dissoudre le Corps législatif. Ainsi, après avoir enlevé à la Chambre la liberté de résister, on lui maintiendrait la liberté nécessaire pour obéir.

La garde nationale était prête et s’offrait. Soldats ou officiers, de nombreux délégués, même de bataillons qui s’organisaient dans la banlieue, même des vieux bataillons qui dans Paris passaient pour les plus acquis à l’ordre, venaient, depuis la nouvelle de Sedan, se mettre à la disposition de la gauche et réclamer d’elle un mot d’ordre. Elle n’eut donc qu’à consentir au mouvement qu’elle jugeait nécessaire. Rendez-vous fut donné à la manifestation autour de la Chambre à midi.

Cependant nombre d’hommes dans la majorité de la Chambre considéraient avec clairvoyance et avec angoisses le danger auquel les livrait l’obstination du gouvernement. Et parmi eux il en