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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/808

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IV

Le 4 septembre était un dimanche. Le dimanche, à Paris, il n’est pas besoin de colères pour que la foule descende dans la rue : il suffit du soleil. Ce 4 septembre, le temps était beau comme il l’est rarement, même à cette belle saison. L’ironie des choses jetait sur le deuil et les colères de la ville toute la douceur, toute la gloire, toute la gaieté de la nature, — et cette clémence du ciel allait servir les haines des hommes.

Dès le petit jour, Paris fut réveillé par le bruit des vendeurs de journaux qui criaient Sedan et la déchéance. Le matin, la foule, avant de prendre son cours, se forma dans chaque quartier, stagnante et familière. Dans les débits de vins, chez les fournisseurs, sur les portes des maisons, ouvriers, domestiques, petites gens, boutiquiers, au milieu des soins et des achats qui commencent la journée, commencèrent la conversation qui allait être jusqu’au soir l’unique entretien de Paris.

Dans les quartiers bourgeois, nombre de gardes nationaux avaient revêtu leur uniforme ; d’autres, plus nombreux encore, à qui manquait l’uniforme, avaient coiffé le képi. Il était facile de voir que, spontanée ou docile, la colère de tous préparait une même action, et que Paris avait affaire à la Chambre des députés.

Vers dix heures, les ouvriers se mirent en marche, beaucoup par familles, la femme au bras et les enfans à la main, d’autres en petits groupes d’hommes moins pacifiques d’allures ; ceux-là spectateurs, ceux-ci acteurs de la révolution qui se préparait. Mêlés les uns aux autres, de plus en plus nombreux à mesure que se prolongeait leur route, ils se succédaient sur les voies qui mènent à la place de la Concorde. Peu à peu, l’attraction des petites masses pour les grandes les assemblait en bandes qui se trouvaient avoir un drapeau, des chefs, pousser un cri uniforme : dès lors, ceux qui s’étaient absorbés dans cet être collectif avaient cessé de s’appartenir, et, troupeau facile à mener, suivaient les hommes d’action.

Quand les quartiers du centre furent atteints et traversés par la population des faubourgs, de onze heures à midi, ils s’ébranlèrent à leur tour, et suivirent. Mais ici, à l’égrènement continu des promeneurs isolés, aux formations capricieuses des petits groupes et des bandes, s’ajoutaient les mouvemens plus réguliers des gardes nationaux. Les uns s’avançaient tassés en masse confuse, sans garder de rangs ni observer de silence ; d’autres s’étaient formés en bataillons, marchaient avec leurs officiers, mais sans armes, pour marquer que cette manifestation était pacifique ;