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des révolutions que des coups d’État ; elle ne se sentait, sur l’heure, menacée que par l’envahissement populaire. Rappeler que le ministre avait pris de sérieuses mesures contre l’émeute, c’était le servir. Seul pouvait être dangereux pour lui, devant les députés, le bruit de son désaccord avec Trochu. Montauban commença par nier cette mésintelligence ; sa distinction entre les pouvoirs du gouverneur, chargé uniquement de la défense de l’enceinte contre l’ennemi, et les pouvoirs du ministre, maître, pour tout le reste, des troupes et de leurs mouvemens, servit là comme la veille avec Soumain et persuada mieux l’incompétence du Parlement. Il affirma à deux reprises que ce partage d’attributions était consenti par Trochu. Puis, poussant avec habileté sa pointe, à M. de Kératry qui déclarait avoir « parlé au nom de l’opposition », il répondit ne pas connaître dans la Chambre « l’opposition, mais seulement des députés » ; aux cris : « La garde nationale ! » il riposta que « l’armée aussi était une troupe nationale », et attaquant à son tour la gauche : « Messieurs, de quoi vous plaignez-vous ? que je vous fais la mariée trop belle ? (Exclamations et réclamations à gauche.) Comment ! messieurs, je mets autour du Corps législatif un nombre de troupes suffisant pour assurer parfaitement la liberté de la discussion, et vous vous en plaignez ! Si je n’en mettais pas, vous vous plaindriez que je livre le Corps législatif à des pressions extérieures. » (Très bien ! très bien ! au centre. Rumeurs à gauche.) Après quoi, désireux d’attacher aussitôt à ce premier succès le succès essentiel, il lut sa proposition à la Chambre. Cela suffit pour faire perdre à Montauban tout ce qu’il avait gagné. Le projet parut à tous, amis ou ennemis de l’empire, une épave à laquelle ne se cramponnait plus que l’ambition d’un homme. L’accueil de l’Assemblée dit d’avance quel serait son vote. M. Thiers profita de ces dispositions pour déposer à son tour son projet, qui était signé par quarante-huit députés de tous les partis modérés. La lecture en fut écoutée avec une faveur générale. Il fut convenu que les trois propositions du Gouvernement, de M. Thiers, et de Jules Favre seraient examinées ensemble par une seule commission, et la Chambre suspendit à deux heures moins vingt minutes, la séance, pour élire dans les bureaux les commissaires et attendre leur rapport.

C’est à ce moment que M. Buffet et ses amis rentraient au Palais-Bourbon. Il était trop tard pour obtenir du ministère qu’il changeât sa proposition, et la nouvelle, aussitôt répandue, des dispositions où était l’impératrice, ne fit que donner plus de chances au projet de Thiers. Dans presque tous les bureaux la discussion fut courte, les élus furent les membres des centres