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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/835

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fidèles à des habitudes surannées? Nous savons le contraire. Voici, par exemple, un monument bien connu, contemporain des premiers vases attiques à figures rouges : nous voulons parler de la stèle de Vélanidéza où un Athénien, Aristion, est représenté en costume de guerre. Le fond a conservé une teinte sombre qui fait ressortir les valeurs claires des chairs et les filets adroitement ménagés pour isoler certains détails, comme l’épaulière de la cuirasse[1]. Une des découvertes les plus importantes dues aux fouilles de l’Ecole française à Delphes nous apporte un argument de plus. Dans la magnifique frise du Trésor des Siphniens, le fond était peint en bleu, et si les armes et les vêtemens ont conservé des traces de couleurs, on n’en voit aucune sur les nus. L’artiste avait d’ailleurs pris ses précautions pour que les couleurs des accessoires ne se confondissent pas avec celles du fond. Tel guerrier porte un casque bleu, mais cette pièce d’armure est très habilement cernée par un liséré rouge, et l’œil en perçoit ainsi nettement les contours. La peinture des bas-reliefs s’achemine donc vers un système nouveau, qui fera prévaloir, dans les fonds, des valeurs soutenues ; et, pour continuer une comparaison empruntée à la peinture céramique, un bas-relief polychrome rappellera, pour l’effet d’ensemble, l’aspect d’un vase où les figures rouges s’enlèvent sur un fond sombre.

La stèle de Véladinéza et la frise des Siphniens sont des sculptures en marbre. L’évolution dont nous parlons coïncide, on le voit, avec l’emploi d’une matière plus fine que la pierre tendre, et qui, vers le milieu du vi’ siècle, a remplacé presque partout le tuf cher aux vieux sculpteurs. Avec la sculpture en marbre, la polychromie entre dans une phase nouvelle.


II

Le marbre est pour nous une matière coûteuse et rare; il y a comme un sentiment d’économie dans le respect qu’il nous inspire, et c’est là une des raisons qui ont fait longtemps écarter comme sacrilège l’idée de la polychromie: appliquer une coloration artificielle aux beaux marbres grecs, si purs de grain, cela peut sembler une profanation. Sans doute les Grecs en connaissaient bien tout le prix. Le marbre de Paros était un article d’exportation,

  1. Ce bas-relief est reproduit avec ses couleurs dans l’ouvrage intitulé : Die attischen Grabreliefs, publié par l’Académie des sciences de Vienne sous la direction de M. Conze. Voir pl. II. Sur le rapport de la polychromie des stèles attiques avec la peinture, on trouvera d’intéressantes remarques dans un article de M. G. Loeschcke, Athenische Mittheilungen, IV, p. 36 et suivantes.