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et malgré la richesse de leurs carrières du Pentélique, les Attiques eux-mêmes l’achetaient à belles drachmes sonnantes. Mais le marbre reste pour eux « la pierre blanche », c’est-à-dire une pierre plus belle, plus résistante que le calcaire, offrant par là même plus de ressources à l’architecte et au sculpteur. L’emploi de cette matière nouvelle n’a pas pour effet de faire brusquement cesser les habitudes prises; la polychromie ne disparaît pas, elle se modifie. Un sûr instinct avertit les sculpteurs que ce grain serré et poli, cette transparence chaude, cet éclat doux, doivent concourir à la beauté de l’œuvre d’art, et que le problème consiste à concilier les exigences de la matière avec celles de la couleur. Ce problème, les maîtres archaïques s’appliquent à le résoudre, et ils le font avec autant de goût que de décision.

Nous sommes aujourd’hui très bien renseignés sur la peinture des statues archaïques en marbre, et, pour ne parler que des découvertes les plus retentissantes, les fouilles de l’Acropole d’Athènes nous l’ont révélée avec une précision inespérée. Les statues de femmes réunies au musée de l’Acropole sont bien connues ; on a maintes fois décrit ces figures de marbre où revivent pour nous les contemporaines des Pisistratides ; on a commenté avec complaisance leurs attitudes un peu rigides, leurs gestes réglés par une sorte de coquetterie d’apparat, étudié avec détail leur costume de fête aux longs plis réguliers, et l’appareil savant de leurs coiffures[1]. Le soin minutieux de l’exécution nous avertit que l’art du marbre a atteint toute sa perfection technique, et que les progrès à venir seront surtout des progrès de style. Les artistes qui ont sculpté ces statues, de 520 à 480 environ, sont sûrs de leur ciseau, comme les peintres qui les décorent sont maîtres de leurs principes. La polychromie suit des règles établies, et ne procède pas par tâtonnemens. Nous pouvons donc choisir un exemple qui nous épargnera de longues descriptions, et examiner, parmi les statues de l’Acropole, une de celles où la polychromie a laissé les traces les plus nettes[2]. Considérons d’abord la tête, avec sa chevelure curieusement détaillée au ciseau : des boucles s’étagent sur le front ; des tresses flottent sur la poitrine ; la masse des cheveux s’épand sur les épaules en une large nappe striée d’ondulations régulières. Pour parfaire le travail

  1. On en trouvera l’étude la plus complète dans les articles de M, Lechat, Bulletin de correspondance hellénique, 1890, p. 301-362, 552-586. L’auteur a également examiné de très près la polychromie des statues, et je ne fais que résumer ici ses conclusions.
  2. C’est la statue qui est reproduite à la planche III des Musées d’Athènes; une planche en couleurs, publiée dans les Antike Denkmaeler, I, pl. XXXIX, donne les couleurs du costume.