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là, ils prennent une cohésion qui n’est pas factice, et la conviction se fait peu à peu. On arrive facilement à conclure que la polychromie a survécu pendant des siècles à l’archaïsme primitif.

La sculpture monumentale et le bas-relief nous offrent des points de repère certains ; ils s’échelonnent sur une longue période qui va de 470 environ à la fin du IVe siècle. Des traces de couleur ont été observées sur les métopes du temple de Zeus à Olympe, sur la draperie de l’Apollon colossal qui se dressait au milieu du fronton occidental. Si les recherches faites au Parthénon ont abouti seulement à des résultats incertains, la frise du Théséion, un peu postérieure à celle des Panathénées, a conservé des vestiges de peinture. Quand M. Newton exécuta, en 1856, sur l’emplacement du mausolée d’Halicarnasse, des fouilles mémorables, il put relever sur la grande frise de l’ordre, sur les vêtemens des statues colossales qui couronnaient l’édifice, des colorations alors très apparentes, et aujourd’hui presque éteintes[1]. La polychromie reste encore très visible sur les lions de marbre qui, à n’en pas douter, proviennent du même monument; on restitue sans aucune peine le ton brun rouge du corps, le rouge vif posé sur le retroussis des lèvres et sur la langue pendant hors de la gueule entr’ouverte. Ainsi au milieu du IVe siècle, au temps où Scopas et ses émules décorent le somptueux tombeau du roi carien Mausole, la sculpture monumentale reste polychrome; l’harmonie n’est pas rompue entre l’architecture égayée d’une élégante polychromie et la sculpture qui fait pour ainsi dire corps avec l’édifice.

Veut-on pousser l’enquête plus loin? On considérera des bas-reliefs isolés, indépendans, échappant par là même aux exigences de la polychromie monumentale. À ce point de vue, les stèles funéraires peuvent fournir de curieux renseignemens. En parcourant le recueil des bas-reliefs funéraires attiques[2], publié par l’Académie des sciences de Vienne, on se rendra compte que ces stèles, aujourd’hui décolorées pour la plupart, recevaient des mains du peintre leur dernier fini[3]. Le pinceau achevait le décor du fronton et des acrotères qui couronnaient la stèle, indiquait les détails négligés par le sculpteur, comme les accessoires de toilette, le bâton sur lequel s’appuient les personnages drapés dans leur manteau et qui paraîtraient suspendus dans le vide, si le peintre ne se chargeait de ramener l’aplomb. Une des plus

  1. C.-T. Newton, Discoveries at Halicamassus, Cnidus and Branchidae, I, p. 101, 222 et suivantes.
  2. Die attischen Grahreliefs.
  3. Sur le concours réciproque que se prêtent la sculpture et la peinture dans le bas-relief grec, on peut lire une intéressante étude de M. Conze, dans les Sitzungsberichte der Berliner Akademie, 1882.