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L’anecdote de Pline sur la collaboration de Praxitèle et de Nicias n’offre rien de suspect ; la découverte de la seule statue originale que nous possédions du grand maître athénien, celle de l’Hermès d’Olympie, nous invite au contraire à y ajouter foi. Les traces de brun rouge observées sur la chevelure, sur les sandales de l’Hermès attestent que le pinceau du peintre avait achevé l’œuvre du sculpteur. Parmi les marbres qui datent de l’époque hellénistique, on peut signaler plus d’un exemple analogue. Un Apollon du musée de Constantinople, découvert à Cymé, porte sur l’épaule une draperie rouge; il est chaussé de brodequins historiés, où l’on relève des traces de bleu, de rouge et d’ocre. Il faut citer surtout une statuette d’Esculape en marbre de Paros trouvée dans l’île de Cos, et acquise en 1892 par le musée de Dresde[1]. Elle présente cette curieuse particularité d’avoir été non seulement peinte, mais repeinte. La couleur primitive du manteau était un rouge brique assez clair. A une date postérieure, peut-être à la suite d’une révision des offrandes exposées dans le sanctuaire d’Esculape, la peinture primitive a été rafraîchie, et le manteau a reçu une coloration nouvelle : cette fois on a choisi un ton rose. On a plus d’une fois émis l’opinion que les terres cuites grecques nous donnent une idée assez exacte de la peinture des statues, et que les figurines de Tanagra, en particulier, avec leur coloration délicate, leurs chairs revêtues d’un ton très pâle, leurs draperies où se marient des couleurs douces et atténuées, rose tendre, bleu ou violet, leur chevelure peinte en brun rouge, pouvaient nous offrir comme en réduction l’image d’une statue polychrome. Les procédés de fabrication rendent en effet ces analogies assez frappantes. Avant de procéder au coloriage de la figurine, le coroplaste la plonge dans un bain de lait de chaux et de céruse : lorsqu’elle en sort immaculée sous la légère couche blanche qui servira de dessous à la peinture, ne présente-t-elle pas l’aspect d’une statuette de marbre, prête à recevoir du peintre sa dernière parure? Et l’artiste qui va la colorier ne s’inspirera-t-il pas des conventions en usage pour la polychromie des grandes statues? Les récentes fouilles poursuivies à Délos par l’École française d’Athènes nous donnent à cet égard un renseignement curieux. Dans les ruines d’une maison délienne, M. Couve a découvert une belle statue de femme drapée, comparable, pour l’élégance, aux plus coquettes figurines tanagréennes. La chevelure, artistement disposée en bandeaux, est revêtue d’un ton brun rouge : c’est exactement le type de coiffure et la coloration qu’on observe dans les

  1. Arch. Anzeiger, Jahrbuch des arch. Instituts, VII, 1892, p. 159.