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plus aujourd’hui à Genève qu’un petit nombre d’habiles ouvriers, y florissait alors beaucoup davantage. Jean II Rousseau était donc horloger, et fonda la fortune de sa maison. Il eut dix-neuf enfans ; dix ou onze d’entre eux se marièrent. Le digne homme s’avisa, en 1654, de s’adresser au Conseil, exposant qu’il avait à ce moment seize enfans vivans, d’un seul et même mariage, et entre eux dix mâles ; et demandant qu’on l’exemptât de payer certains impôts, en considération de la lourde charge qui pesait sur lui. On fit droit à une requête aussi bien motivée. Il ne lui restait que dix enfans, quand il mourut à 78 ans ; et c’est à cette lignée encore nombreuse que fait allusion un passage des Confessions où Rousseau dit, avec force inexactitudes : « Un bien fort médiocre à partager entre quinze enfans, avait réduit presque à rien la portion de mon père. « On ramènera les dires de Jean-Jacques à la vérité en lisant : « Un héritage de 31 000 florins — ce qui constituait il y a deux cents ans une belle fortune, et non pas un bien fort médiocre, — ayant été partagé entre dix frères et sœurs, la part de mon grand-père ne fut pas très considérable. » On possède l’inventaire des biens de ce riche horloger, dressé à son décès. On y remarque une jolie collection d’armes : six épées, quatre mousquets, cinq arquebuses, une pertuisane, deux hallebardes ; et aussi une intéressante série de portraits de famille, qui ont malheureusement disparu. Maison en ville, maison à la campagne, bijoux et diamans, c’eût été presque l’opulence, si ces grands biens n’avaient pas dû être divisés. La femme de Jean II Rousseau, Lydie Mussard, qui s’était mariée à seize ans, était d’une famille très bien placée dans la société. Les alliances de ses enfans appartenaient aussi à la bonne bourgeoisie. La famille Rousseau, à ce moment de son histoire, fut à son apogée. Les générations qui suivirent ne surent que garder cette situation sans l’accroître, — ou déchoir.

David Rousseau, le septième des enfans de Jean II, fut le grand-père de Jean-Jacques ; il mourut presque centenaire, au moment où son petit-fils venait de s’établir aux Charmettes. L’auteur des Confessions l’a donc connu ; il a dû voir souvent ce respectable vieillard ; on se demande pourquoi il n’a pas dit un mot de lui. Mais une lettre de la main de David Rousseau, et son portrait, qui nous ont été conservés, nous permettent de le toucher pour ainsi dire de plus près que ses prédécesseurs. La lettre est cachetée d’un cachet aux armes de la famille Rousseau : un soleil cantonné de quatre étoiles, dans un écusson surmonté d’un casque et entouré de lambrequins. Elle est adressée au marquis de Saint-Michel, à Chambéry : « Ayant reçu