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POÉSIE.


LE JARDIN DE LA NUIT


Si l’aile inévitable et sombre doit s’étendre
Sur tes grands yeux si doux et sur ton jeune front,
Si l’horreur de la mort hante ton âme tendre,
Viens : les fleurs ont des voix qui te consoleront !
Sœur des belles-de-nuit, tu sauras les entendre.

Belles de ta beauté, pâles de tes pâleurs,
Les roses des rosiers éclos au clair de lune
Dont la blanche corolle est faite de lueurs,
Mystérieusement, effeuillent une à une
Au nocturne jardin leurs lumineuses fleurs.

Et les fleurs de jasmin, de lys et d’ancolie
Et celles que la nuit seule voit s’entr’ouvrir,
Ont l’ineffable attrait de ta bouche pâlie,
Le charme douloureux de ce qui doit mourir
Ainsi que ta jeunesse et ta mélancolie.

Ton cœur triste est rempli par l’horreur du trépas,
Son vol irrésistible en frémissant t’effleure,
Son souffle effacera la trace de tes pas,
Ta vie est le prestige et le parfum d’une heure,
Et les fleurs qui t’aimaient ne te survivront pas.

Mais de l’instant suprême épuisant les délices.
Éloigne l’inutile et ténébreux effroi,
Penche ton pâle front vers les pâles calices
Et respire, dans l’ombre exhalé jusqu’à toi,
L’arôme fraternel des fleurs consolatrices.

***