Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de « sa gloire », les opérations de l’industriel enrichissent, et les œuvres de l’artiste honorent tout un pays ! Songeons donc à nous d’abord, et aux autres ensuite. Est-ce qu’en effet les autres se gênent ou se contraignent pour nous? est-ce qu’ils n’usent pas contre nous de tous leurs avantages? est-ce que ce ne serait pas une duperie que de ne pas les imiter ? Il faut l’avouer : telles sont bien les leçons qui se dégagent de tous nos programmes, de toutes nos méthodes. La culture intensive du Moi en fait le premier et le dernier mot. Nos programmes d’instruction ne visent qu’à nous rendre chacun le plus fort ou le plus habile au jeu de la concurrence vitale. C’est exactement le contraire de ce que se proposait l’éducation ; — et si son objet était de substituer, comme nous l’avons dit, le pouvoir des mobiles sociaux sur les mobiles individuels ; tout au rebours, l’instruction, telle qu’on la donne, ne semble avoir pour but que d’assurer la victoire des mobiles individuels sur les mobiles sociaux.

D’un autre côté, si l’objet de l’éducation était aussi de mettre parmi les hommes, en les obligeant à des concessions réciproques, une apparence au moins de paix et de concorde, qui ne voit que, telle qu’on la donne, l’instruction ne saurait aboutir qu’à favoriser un esprit de contention et de lutte? « Que faire dans cette foule d’hommes à chacun desquels on a dit dès l’enfance : Sois le premier! » Ainsi s’exclame quelque part Bernardin de Saint-Pierre, et il y a bien quelque vérité dans ce cri. L’émulation a-t-elle d’ailleurs produit de si mauvais effets dans nos collèges? et si l’on supprimait demain le Concours général, est-on bien sûr que les choses en iraient beaucoup mieux? Si les hommes sont de « grands enfans », les enfans sont de « petits hommes », et nous avons besoin de hochets à tout âge. Aussi, ce qui me paraît beaucoup plus dangereux, est-ce d’avoir organisé l’instruction de telle sorte que la vie même y soit présentée comme un perpétuel combat de chacun contre tous. La faute en est-elle à Darwin? C’est ce que je n’examine point aujourd’hui, me réservant de traiter à son tour cette question de la moralité de la doctrine évolutive. Mais, en attendant, si le conseil que l’on donne le plus fréquemment à la jeunesse est celui de « faire son chemin ; » — si, ce que l’on efface tous les jours de nos anciens programmes d’instruction, ce sont toutes les matières dont l’utilité n’a pas quelque chose d’évident, ou plutôt de tangible; — si nous habituons enfin nos élèves à considérer l’instruction comme une arme enchantée dont la possession leur garantirait la certitude de la victoire, ne nous étonnons pas qu’à mesure que la part de l’instruction augmente, celle de l’éducation diminue. Telles, en effet,