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même qu’ils ont tous, étant jeunes et exempts de soucis, la gaîté. Ils chantent à la caserne, en promenade militaire, à la salle de police, et j’en ai entendu chanter après la bataille, en Afrique, lorsqu’ils avaient, cependant, perdu de leurs camarades. Simple effet de soleil, monsieur, et besoin d’expansion d’une race méridionale. Mais, à part ces points communs, il est vrai de dire que les hommes de provinces différentes offrent des types bien tranchés, de valeur militaire inégale. C’est l’histoire de l’Italie, de l’Allemagne…

— Même un peu de la France. Et quel est le meilleur de tous ?

— Le Castillan.

— Vous en êtes un ?

— Oui, monsieur. Je suis Castillan de Castille. Je ne fais que répéter une vérité banale eu vous disant que le soldat de mon pays est supérieurement brave. Il est capable de cette bravoure froide qu’il a montrée à Rocroy, et de cette impétuosité dont il a fait preuve dans l’attaque de Tétuan. Au régiment, nous le trouvons obéissant et surtout d’humeur égale. Sans aimer l’aventure, il ne déteste pas l’inconnu. Il s’accoutume vite, et comprend de même le métier. Je donnerais le second rang aux Navarrais et aux Aragonais, bons soldats aussi, mais plus durs, plus orgueilleux, portés à résister, quand un ordre ne leur paraît pas entièrement justifié.

— Et les Galiciens, auxquels j’ai tant songé aujourd’hui ?

— Oh ! attendez ! Après les Castillans, les Navarrais et les Aragonais, je crois que nos meilleurs contingens nous viennent des côtes du Levant. Les hommes de ces provinces, Alicante, Valence, Barcelone, sont, en général, très dociles et pleins de bonne volonté. Leur formation militaire est plus lente. Ils sont excellens après deux ans de service. Vos amis les Gallegos ont, au contraire, de gros défauts, et qui durent. Ce sont nos Auvergnats. J’ignore si la réputation des vôtres est méritée. Celle des Galiciens l’est assurément. Ils ont la tête dure ; ils passent pour extrêmement intéressés. De plus, ces pauvres conscrits, qui nous arrivent de leur province reculée, où les habitudes de la vie sont tout à fait à part, comme le climat et le paysage, souffrent cruellement du mal du pays, de la morriña, comme ils disent. Dans les premiers mois de leur service, ils ne peuvent se décider à sortir de la caserne. Beaucoup sont atteints de maladies de poitrine. Beaucoup dépérissent. Je les préfère pourtant au soldat andalou. Celui-là ne manque pas de gaîté, ni de décision, ni de brillant. Mais quelle mobilité ! quelle indiscipline native ! quel sentiment de l’individualisme hérité des Arabes ! Et le pis, c’est que l’Andalou, dans nos régimens, donne le ton, comme les