amis du chevalier ont perdu tout espoir. Et nous aussi, parvenus à ces dates suprêmes, nous pensions, en tournant les feuillets jaunis du dossier du parquet, rencontrer le procès-verbal du supplice… lorsque des pièces imprévues se sont offertes à nos yeux, pièces datées par la place même qu’elles occupent dans la liasse, et relatives à un fait mystérieux. Voici ces documens, dont Voltaire et Linguet n’ont jamais connu l’existence.
Le premier, libellé par un secrétaire, ou peut-être par le substitut Boullenois, mais portant des corrections de la main du procureur général, est la minute d’une lettre de M. Joly de Fleury au procureur du roi d’Abbeville. « Ayés agréable, aussitôt ma présente lettre reçue, de faire surseoir l’exécution de l’arrest du Parlement du 4 de ce mois que je vous ai envoyé contre Jean-François Lefebvre de La Barre et autres, jusqu’à ce que vous ayés reçu autres nouvelles de ma part. En conséquence, vous ferez repartir, aussitôt ma présente lettre reçue, l’exécuteur de la haute justice, et je vous prie de faire part de ce que je vous marque à M. le lieutenant criminel de votre siège afin qu’il puisse s’y conformer également. Comme il n’y a pas un moment à perdre, je vous envoie une lettre par un exprès pour faire surseoir à l’exécution de cet arrest ; mais cela ne doit pas vous empêcher de faire garder très soigneusement les prisonniers dans vos prisons jusqu’à ce que je vous aye donné de mes nouvelles. » À la suite de cette lettre sont classées plusieurs minutes adressées à divers officiers de justice, et destinées à assurer le sursis. À ces documens est joint l’ordre donné à un inspecteur de police, nommé Villegardier, de partir en toute hâte pour Abbeville avec les lettres de grâce. Enfin un singulier petit billet du président d’Ormesson est épinglé sur tout cela. Ce billet, destiné au procureur général, est ainsi conçu : « M. de Boëncourt reçoit, Monsieur, une lettre qu’il est nécessaire que vous voiiez sur-le-champ, et qui vous mettra peut-être dans le cas de surseoir. Donnez ordre, je vous prie, qu’on le fasse entrer ; il est luy-même le porteur de cette lettre. »
Tels sont les documens qui posent l’inquiétante énigme. Nous n’essaierons pas de la deviner. L’ordre de surseoir est-il parvenu au parquet le dimanche soir, le lundi à la dernière heure ? Villegardier, parti en toute hâte, est-il arrivé trop tard ? Ou bien ces pièces, préparées à tout événement, sont-elles restées sans emploi ? Ceci paraît invraisemblable si l’on observe les mentions administratives portées sur les minutes relatives au sursis. Il semble bien que ces lettres ont été copiées par les expéditionnaires, signées par le procureur général, et remises ensuite à Villegardier. N’insistons point sur ce mystère, que la lettre suivante du procureur général enveloppe d’un voile plus impénétrable encore :