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des exemplaires réguliers et magnifiques d’une espèce qu’on ne saurait trop regretter, puisque nous lui avons dû notre prépondérance dans le monde. On ne taillera point pour eux le marbre où revivent les héros énigmatiques, en marge de l’humanité qu’ils ont subjuguée ; objets éternels d’incertitude pour le commun des hommes, qui ne savent s’ils doivent les détester monstres ou les adorer demi-dieux. Non ; nous placerons sur leurs tombeaux deux effigies de simple et vieille pierre française, nobles statues de la longue patience dans le devoir ; deux images toutes semblables à celles des anciens chevaliers, si sereines dans le sommeil où ils se reposent de leur vie loyale, et devant lesquelles nous nous arrêtons pieusement lorsque nous les rencontrons au fond d’une chapelle gothique, avec le sentiment que ces preux furent la force et l’honneur de notre race, l’ossature qui fit et maintint notre France. — De Canrobert en particulier l’on peut dire qu’il fut « le soldat, » le type accompli de la profession où il s’enferma volontairement, satisfait d’en développer toutes les qualités jusqu’au point où de petits devoirs accumulés font une grandeur morale plus indiscutable que la fascination des génies singuliers.

Je dois à l’obligeance de sa famille et j’ai sous les yeux les quelques cahiers de notes où est résumée cette belle vie. C’est peu de chose et c’est très significatif. On ne rencontre dans ces pages aucune fantaisie, aucun morceau à effet, aucune complaisance dans les souvenirs personnels des grandes actions de guerre. Nulle plainte, nul jugement amer sur ceux qui lui ont nui. Ce livre de raison relate exactement la tâche quotidienne, il redit simplement des joies et des douleurs militaires simplement ressenties. Le récit est dicté en partie à un ami, un médecin de nos années qui accompagna le maréchal dans la plupart de ses campagnes, en partie recomposé par cet ami d’après les conversations. Il présente malheureusement de graves lacunes, et il est inachevé, arrêté à la guerre d’Italie. Comme Mac-Mahon, si intéressant quand il racontait avec abondance et netteté la Crimée ou l’Italie, mais dont on ne pouvait plus rien tirer quand on le voulait conduire jusqu’à son calvaire militaire et politique, Canrobert a refusé de se souvenir lorsque sa pensée est arrivée à ces mêmes mauvais jours.

Les origines du maréchal déterminaient d’avance sa carrière. Il serait difficile d’imaginer autour d’un berceau des conditions plus propices pour la formation d’un soldat, mieux combinées pour exclure toute autre vocation. MM. de Certain appartenaient à la noblesse besogneuse et militaire du Quercy. L’enfant naquit