beaucoup fait parler d’elle, que tout le monde connaît, et qui me fait bien du tort. — Mais, général, les fautes sont personnelles, et, quant à moi, je n’ai jamais entendu parler de votre nièce. — Oh ! si, vous la connaissez, Monseigneur. — Qui donc est-elle ? — La Marseillaise ! » — Ce maréchal de camp était le frère de Rouget de L’Isle. Il n’eut pas d’avancement.
On conçoit l’exaltation des saints-cyriens de cette époque, lorsqu’ils venaient s’encadrer dans la curieuse mosaïque formée alors par notre corps d’officiers ; l’impatience les prenait à écouter, dans l’inaction d’une longue paix, ces récits des vétérans de la Grande Armée qui semblaient presque un reproche à leurs jeunes épaulettes. Après 1830, le régiment de Canrobert fut confié à l’un des plus marquans parmi ces revenans du Champ d’Asile, au colonel Combe. Ancien chef de bataillon aux grenadiers de la vieille garde, Combe avait commandé à Waterloo le carré où se réfugia Napoléon ; il avait suivi l’empereur à l’île d’Elbe. Canrobert apprit beaucoup sous les ordres d’un pareil chef. Quand le colonel du 47e tomba sur la brèche de Constantine, il laissait un disciple digne de lui.
L’Afrique, seul champ ouvert à la fièvre d’action de ces jeunes officiers, était une tentation permanente devant eux ; tentation plus proche et plus irritante pour ceux qui tenaient garnison au bord de la Méditerranée, cherchant des yeux dans le vide cette terre des rêves militaires. Enfin, en 1835, le 47e y fut appelé. On devine la joie du lieutenant Canrobert lorsqu’il atterrit à Mers-el-Kebir. A peine débarqué, il put juger que sa nouvelle vie, ne manquerait ni d’activité ni de pittoresque. On le mena voir Ibrahim-Bey, un de nos alliés, campé sous les murs d’Oran. Deux monticules d’objets ronds s’élevaient devant l’entrée de la tente : des pastèques, pensèrent d’abord les officiers arrivant de France. C’étaient des têtes fraîchement coupées. A côté, une centaine de prisonniers arabes disaient philosophiquement leur chapelet, attendant de grossir le tas au coucher du soleil.
L’Algérie française n’était encore qu’un camp de peu d’étendue, appuyé à la mer. On le conservait, on le ravitaillait, on l’agrandissait au prix d’une lutte de tous les jours contre les tribus coalisées. Perpétuellement en colonne, combattant, construisant des blockhaus, razziant et convoyant des troupeaux, nos officiers comptaient les rares nuits passées dans un lit. Vie rude et harcelée, guettée au détour de chaque buisson de lentisque par l’embuscade arabe, surmenée par la privation de sommeil et de nourriture, par les intempéries dans les bivouacs malsains. Vie enivrante, si pleine d’attraits pour ceux qui en avaient goûté, que le rappel en France paraissait à ces jeunes gens la pire des