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voulait pas de bien aux accusateurs de Hastings, a déclaré, dans la séance du Parlement où furent décidées les poursuites, que l’affaire de Bénarès lui avait fait peu d’honneur, qu’il n’avait pas proportionné la peine au délit, qu’il avait imposé au rajah des conditions léonines « et honteusement exorbitantes, shamefully exorbitant. »

Les conditions léonines n’avaient pas rapporté tout ce qu’on espérait, on tâcha de trouver le reste dans la principauté d’Oude. Le nabab-vizir d’alors, Asaph-ul-Dowlah, était court de finance et d’argent, et Hastings en voulait beaucoup. Ils se décidèrent d’un commun accord à rançonner les Begums, c’est-à-dire la mère et la grand’mère du nabab, qui vivaient dans l’opulence. Asaph avait déjà puisé dans la bourse de sa mère ; elle en avait appelé aux Anglais, et les Anglais étaient intervenus. Elle avait promis d’accorder à son fils quelques secours pécuniaires, et il s’était engagé à ne rien demander de plus. Cette convention solennelle avait été garantie officiellement par le gouvernement du Bengale. Le cas était embarrassant, il fallait trouver un prétexte. On accusa les Begums d’avoir entretenu de secrètes intelligences avec Cheyte-Sing et fomenté des troubles.

M. Malleson assure que dans cette occasion Hastings eut d’exquises délicatesses, qu’avant de passer outre, il tint à consulter sir Elie Impey qui leva ses scrupules. Que pouvait lui refuser cet obligeant directeur de conscience ? Il avait eu la précaution de l’acheter. A 8 000 livres que touchait Impey par acte du parlement, Hastings avait ajouté un traitement égal, en le faisant nommer juge au service de la Compagnie et en stipulant que ce magistrat serait révocable au gré du gouverneur général. Il ne tenait qu’à lui de le mettre à pied, et le complaisant Impey lui fit voir clair comme le jour que les Begums avaient réellement commis le crime qu’on leur imputait. Elles étaient dures à la détente, on les confina dans leur appartement et les deux eunuques qui gouvernaient leur maison furent incarcérés. M. Malleson nous dit qu’il suffit de deux jours de jeûne forcé pour leur faire entendre raison. Mais il ne nie pas que ces deux vieillards infirmes n’aient été conduits à Luknow, où ils demeurèrent prisonniers durant plusieurs mois. Que se passa-t-il dans leur cachot ?

— « Il reste dans les annales du parlement, dit Macaulay, une lettre écrite par un résident anglais à un militaire anglais, qui était ainsi conçue : « Monsieur, le nabab ayant résolu d’infliger des châtimens corporels aux prisonniers qui sont sous votre garde, ce mot est pour vous prier de laisser à ses officiers un libre accès auprès des détenus, afin qu’ils puissent faire d’eux ce qui leur semblera bon. » Cela signifie en bon anglais que les deux vieillards furent mis à la torture.

Quand ils eurent dit tout ce qu’on voulait leur faire dire, quand les Begums, à bout de résistance, eurent consenti à parfaire la