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qui miroitait aux yeux des conquérans depuis 1793, et qui ne tentait pas moins les Autrichiens, très dévots catholiques, que les républicains iconoclastes. « Il sera, écrivait Wurmser au sortir de Mantoue, peut-être encore temps de nous emparer de ce trésor qui doit enrichir la France ; cela fera le même effet chez nous, si nous la prévenons. »

Le pape n’observait point les conditions de l’armistice ; il avait appelé un général autrichien ; ses agens prêchaient la révolte aux peuples ; il correspondait avec la cour de Vienne et conspirait la perte des Français. Bonaparte avait intercepté des correspondances significatives ; il était instruit par Cacault des manœuvres de la Curie. Il avait tous les prétextes et tous les motifs de rompre l’armistice et de marcher sur Rome. Mais ce n’était point pour l’anéantir : il lui suffirait de démembrer l’État pontifical et d’assujettir la cour.

Il voulait conserver le pape avec une ombre de prestige ; il en avait besoin pour affermir sa domination en Italie, surtout pour gagner la France. Hoche avait apaisé et rallié la Vendée avec quelques pauvres prêtres de campagne ; que ne ferait pas Bonaparte avec tout le sacré collège, avec le pape lui-même ? Les Romains avaient spéculé sur sa défaite ; il allait leur apprendre comment il savait user de la victoire. Ils se réconfortaient d’allusions historiques. « Il n’est pas arrivé, disaient-ils, depuis Charlemagne, que les Français aient eu la domination de l’Italie. » Les temps de Charlemagne allaient reparaître, et Bonaparte n’avait pas besoin que Cacault lui rapportât ces propos des prélats, pour que l’image du grand empereur surgît, devant ses yeux, sur ces routes de l’empire romain qu’il parcourait à son tour. Il avait lu, et bien lu, l’Essai sur les mœurs ; il y avait appris que les droits du pape sur Rome valaient ceux des autres monarques, c’était la force qui les avait établis et la force qui les pouvait détruire. Il connaissait cette phrase qui pressait sa mémoire comme une prophétie que tout semblait le destiner à accomplir : « Charlemagne, maître de l’Italie, comme de l’Allemagne et de la France, juge du pape, arbitre de l’Europe, vint à Rome à la fin de l’année 799. Léon III le proclame empereur d’Occident… Voilà donc le fils d’un domestique, d’un de ces capitaines francs que Constantin avait condamnés aux bêtes, élevé à la dignité de Constantin… »

Ses lettres le montrent constamment occupé du rôle que peut jouer l’Eglise dans les États, et du concours qu’elle peut apporter au pouvoir. Il avait écrit, le 22 janvier, à Cacault de quitter Rome ; le même jour il écrivait au cardinal Mattei : « Nous