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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/304

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toute seule… Je n’ai point parlé de religion parce qu’il est évident que l’on fera faire à ces gens-là par la persuasion et l’espérance beaucoup de démarches qui pourront être alors vraiment utiles à notre tranquillité intérieure. Si vous voulez me donner vos bases, je travaillerai là-dessus… »

Ainsi d’étape en étape et comme de vision en vision, son histoire se projetait à ses yeux : d’Ancône, il avait entrevu l’expédition d’Egypte, de Tolentino il dessine le Concordat. Le traité lit grand effet dans les pays conquis et dans les villes émancipées. Milan, qui avait déjà fêté la victoire de Rivoli et l’anniversaire du 21 janvier, affichait la haine fanatique de l’Eglise catholique et du Saint-Siège. Un archiprêtre prêcha contre l’infaillibilité, un ci-devant moine fit un discours pour le divorce, une jeune fille s’offrit à qui lui apporterait la tête de Pie VI ; ou abolit les noms des saints, on composa un catéchisme qui contenait cet article : « Je crois à la République française et à Bonaparte son fils ; » le 25 février, on donna, dans la salle de l’Opéra, un grand ballet symbolique de l’histoire de l’Eglise romaine et de sa confusion finale. Bonaparte comptait peu sur ces danses, ces discours, ce catéchisme et ces Iphigénies de carrefour pour défendre l’Italie. De nouveaux soucis l’assiégeaient. L’archiduc avançait et Clarke, arrivé à Tolentino, le 18 février, avait reçu un gros courrier diplomatique du Directoire.


IV

Le Directoire ne fut jamais plus près d’être sage que dans cet hiver de l’an V ; c’est que jamais il n’eut plus peur : au dehors peur de la défaite qui serait un écroulement, au dedans peur de l’opinion qui réclamait la paix et qui allait, aux élections prochaines, se manifester souverainement. Il persista, en conséquence, à se renfermer dans les « limites constitutionnelles. » Le ministre des relations extérieures, Delacroix, écrivit le 30 décembre au général Clarke : « Je pense comme vous que notre intérêt et une saine politique demandent que le gouvernement français attende encore pour se prononcer sur le sort de l’Italie ; qu’une décision prématurée pourrait former un grand obstacle à la paix ; qu’un peuple aussi dépourvu d’énergie, esclave des préjugés les plus dégradans, soutiendrait assez mal le rôle de peuple libre ; qu’il sera toujours temps de l’affranchir absolument ou de lui assurer une constitution plus heureuse et plus libre, au moment où nous traiterons de la paix de l’Italie. » Les Directeurs voulaient alors les garder « invinciblement comme le gage