Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perfide a d’elle-même appelé sa ruine et qu’elle ne mérite pas plus d’égards qu’une province du Saint-Siège ou un territoire ecclésiastique d’Allemagne.

Ce parti pris, il laisse Marmont et Cacault surveiller à Rome l’exécution du traité ; il laisse Clarke parlementer, à Florence, avec le grand-duc de Toscane, puis échanger, à Turin, des notes dilatoires, avec Gherardini. Il remonte vers le nord, résolu à prévenir l’archiduc. Ce prince a perdu l’occasion de prendre l’armée française à revers, par le Tyrol, pendant l’expédition de Home ; cette occasion, Bonaparte ne la lui offrira plus. Le 6 mars, Bernadotte arrive avec les renforts tirés de l’armée du Rhin : 30 000 hommes sur le papier, en réalité 19 000 combattans, qui portent les forces totales de Bonaparte à 67 000 Français et 7 000 Italiens, en tout 71 000 hommes.

Chemin faisant, il machine contre Venise : il active la force des choses, il précipite les occasions, et prend ses mesures pour en profiter : des agens obscurs creuseront la mine ; la lâcheté, l’avidité, la peur, le fanatisme feront le reste. Le général Victor a l’ordre de se tenir avec 10 000 hommes prêt à occuper les États de la République. Bonaparte déclare aux Vénitiens qu’il ne souffrira pas que l’ordre soit troublé derrière lui, et dans le même temps, ses émissaires préparent les désordres dont il annonce la répression. Venise s’y prête. Les intrigues se croisent au milieu du carnaval macabre qui se continue tout l’hiver. « Cette République touche à sa fin, écrit l’agent français, Lallement, à Bonaparte ; le gouvernement n’a plus de ressorts ; les peuples sont arrivés au mépris, et il ne faut plus qu’une étincelle pour allumer l’incendie. On ne nous aime pas, mais le mot de liberté, que nous prononçons avec enthousiasme, retentit partout… et ces vieux aristocrates… ne font que précipiter le moment de leur chute. » Si Bonaparte se rapproche, ils tremblent et se font supplians ; si Bonaparte s’éloigne et paraît en péril, les émigrés français, qui s’étaient mis à l’ombre, se répandent dans les cafés, sur les places, annoncent la déroute des Français et « distribuent de l’argent aux soldats esclavons, en les excitant au massacre des Jacobins. » Les agens de Bonaparte les secondent, à leur façon, en grossissant la petite faction révolutionnaire, dite des « patriotes », dont les francs-maçons, quelques nobles émancipés, des bourgeois riches, la jeunesse remuante, forment le noyau. Et selon les nouvelles de la guerre, les deux partis, le premier beaucoup plus nombreux que le second, se menacent d’extermination.

Le ci-devant conventionnel, futur préfet de l’Empire, Salicetti