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fléchissait à la Porte sous le poids des nécessités pressantes.

Après avoir envahi les Principautés, les Russes tentèrent de franchir le Danube. Ils ne pouvaient occuper la Bulgarie sans se rendre maîtres de la place forte de Silistrie. Ils en entreprirent le siège. La garnison leur opposa une résistance héroïque. Dix fois ils montèrent bravement à l’assaut, dix fois ils furent repoussés avec des pertes considérables. Le prince Orlof, longtemps ambassadeur à Paris, était l’un de ces glorieux combattans et avait reçu plusieurs blessures dont il portait la trace. Il importait de sauver ce boulevard de la défense de l’empire ottoman. Si l’armée russe s’en était emparée, la guerre se serait développée sur le territoire turc pendant que les alliés se proposaient de la porter dans les provinces méridionales de la Russie. En parfait accord, le maréchal Saint-Arnaud et lord Raglan, commandant en chef de l’armée anglaise, résolurent de concentrer les forces alliées autour de Varna. De ce point, on pouvait, à la fois, les diriger sur la rive droite du Danube et délivrer Silistrie ou les transporter en Crimée. Cette opération fut rapidement exécutée. Dès qu’ils en furent instruits, les Russes, après un dernier effort tenté sans résultat, levèrent le siège, et bientôt on apprit qu’après avoir évacué la Valachie, ils s’étaient mis en pleine retraite pour rentrer en Bessarabie. N’ayant plus à redouter que l’ennemi, maître de la Bulgarie et franchissant les Balkans, pût menacer Constantinople, les alliés arrêtèrent leur plan de campagne ayant la Crimée pour objectif.

Pendant que les armées se mettaient ainsi en mouvement de part et d’autre, on négociait à Vienne. Une conférence y avait été réunie, et on échangeait des notes sans résultat. L’Autriche cependant s’était rapprochée de la France et de l’Angleterre, et il fut convenu qu’une armée autrichienne occuperait les Principautés évacuées par les troupes russes. Cette combinaison avait pour objet de mettre obstacle à toute nouvelle tentative de la Russie pour reparaître sur le Danube, et de permettre ainsi aux alliés de disposer, en toute sécurité, des forces qu’ils avaient réunies dans la Mer-Noire. À cet effet, la Porte fui invitée à conclure une convention avec le cabinet, autrichien. Comme s’ils avaient eu la claire vision de temps plus récens, les Turcs se montrèrent défians, sinon réfractaires. Ils redoutaient, pour les Principautés, le sort qui a été fait, depuis, à la Bosnie et à l’Herzégovine. Ils s’imaginaient que, mise en possession de la Valachie et de la Moldavie, l’Autriche tenterait de se les assimiler en attendant que les circonstances lui permissent de les annexer à son empire. Agissant en parfait accord, nous dûmes, lord Stratford et moi, user de nos moyens réunis pour déterminer la Porte à entrer dans les