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acquéreur en la personne de M. Chagot, elle avait pour son compte englouti 14 millions au Creusot.

M. Chagot, à son tour, quoiqu’il n’eût payé les forges que 900 000 francs et qu’il possédât comme industriel une compétence attestée par la création des mines de Blanzy et du Montceau, auxquelles son nom demeure attaché, ne réussit pas davantage ; Le travail ne manquait pas ; la fonderie fournit notamment sous cette direction les tuyaux pour le gaz de Paris et la machine de Marly ; mais la concurrence anglaise écrasait ses prix, et la constituait en perte. Pourtant une société anglaise, à laquelle elle passa la main en 1820, ne fut pas plus heureuse. Conduite par MM. Manby et Wilson, — ce dernier père du député du même nom, gendre de M. Grévy, — elle ranima d’abord le Creusot par ses procédés plus économiques et plus expéditifs de fabrication. Puis les débouchés manquèrent et finalement, comblée de médailles et de récompenses par diverses expositions, après avoir mangé 11 millions de francs, elle faisait faillite. Ce triple échec d’une entreprise, plus tard si fructueuse, n’est pas un fait isolé. Le duc de Raguse perdait à la même époque des sommes considérables dans les forges de Châtillon, et M. Aguado dans celles de Charenton près Paris.

Le Creusot devenait, en 1836, la propriété de MM. Eugène et Adolphe Schneider. Le premier, jusque-là maître de forges dans les Ardennes, à Bazeilles, apportait les connaissances techniques ; le second, totalement novice en industrie et qui, neuf ans plus tard, mourut prématurément d’une chute de cheval, avait obtenu à titre de commandite de la banque Seillière, où il était employé, une partie des 2 600 000 francs que coûtèrent les usines. « Notre tort, disait M. Eugène Schneider, à son retour d’un voyage en Angleterre où il avait été étudier le moyen de se passer des Anglais, est d’avoir mis la théorie pure à la place de la pratique guidée par la théorie, et d’avoir trop pensé au système sans avoir assez pensé à la perfection d’exécution. »

Voici bientôt soixante ans que cette puissante dynastie des Schneider pense à « la perfection d’exécution ». Après le père, mort en 1875, le fils, M. Henri Schneider, longtemps associé à ses travaux ; après le fils, le petit-fils, investi récemment sous la présidence effective de son père du titre et des fonctions de directeur. Que cette hérédité, avec son cortège de traditions, dont le Creusot offre l’image, ait été pour beaucoup dans la glorieuse carrière qu’il a parcourue, qui songerait à le nier ? On n’en peut toutefois rien conclure, puisque c’est toujours par un hasard surprenant qu’il se rencontre en une famille deux ou trois hommes capables de se succéder dans un emploi aussi difficile ; c’est à