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représentées par ces mots : fer et acier, sont en train de disparaître. Il n’existe plus guère, à vrai parler, ni acier ni fer ; mais seulement des composés diversement carbures, le fer contenant moins de carbone que la fonte, l’acier en ayant davantage que le fer. Et cependant, malgré les progrès de la science, il est un élément imparfaitement connu encore dans la fabrication de l’acier Mari in, c’est la proportion du carbone qui se perd, par rapport à celui qui agit efficacement. On n’a là-dessus que des données empiriques ! Dans ce pot-au-feu métallurgique, qui bout à une température portée par l’invention de Siemens à environ 2 000 degrés centigrades, il faut puiser, de temps à autre, une cuillerée de la sauce infernale et la goûter… avec les yeux, pour s’assurer que les condimens utiles y existent dans la mesure désirable. Cette fusion minutieuse de l’acier Martin explique que les 20 tonnes de ce métal, obtenues toutes les dix heures dans chacun des fours, reviennent au maître de forges à 40 pour 100 plus cher que l’acier Bessemer.

Ce qui vient d’être dit sur la limite indécise qui sépare le fer de l’acier justifie l’existence des sept catégories de fer qui sortent du Creusot, depuis le résistant jusqu’au nerveux et à l’aciéré. Tous sont produits par agglutination, non par fusion comme les aciers. C’est même cette différence d’origine qui peut maintenir encore quelque démarcation entre l’acier et le fer : l’un pouvant se comparer à une boule de glace, l’autre à une boule de neige comprimée. Les fours à puddler, d’un mot anglais qui signifie masser ou pétrir, servent à cette compression. Ils sont divisés en deux compartimens : dans l’un commence l’opération par le réchauffage de la fonte ; dans l’autre elle s’achève par le malaxage. Une cloison double, dite « petit-hôtel », sépare ces fournaises mitoyennes, et, pour que les parois de terre réfractaire ne brûlent pas, on fait passer perpétuellement dans ces couloirs de l’eau qui entre froide et ressort chaude, quand elle ressort. Une partie se vaporise en route. Il se perd chaque jour dans l’usine quatre millions de litres, que l’on ne retrouve pas. Heureusement l’eau ne manque pas au Creusot : à elle seule la Saint-Laurent, pompe d’épuisement de la mine qui a coûté 2 millions de francs, enlève 1 000 litres par coup de piston à 400 mètres de profondeur.

La charge d’un four à puddler est de 220 kilos de fonte, qui rendront environ 195 kilos de fer. Au moment où cette fonte commence à devenir pâteuse, le puddleur, armé d’une espèce de crochet appelé rable ou ringard, l’agile sans trêve, pour en exposer toutes les parties au feu, qui la dépouillera de son carbone. Son expérience est telle qu’il juge la chaleur à l’œil. Quoique à peine