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de l’autre, lui fait perdre en épaisseur quelques centimètres, lui fait gagner quelques mètres en longueur. L’allée qui règne au milieu de la salle est sillonnée ainsi par de longs serpens de feu, qui glissent ou s’élancent en s’effilant, pour revenir brusquement sur eux-mêmes, happés de nouveau par la machine inexorable, surveillés par une ligne d’ouvriers armés de pinces, attentifs à remettre dans le droit chemin ceux qui par hasard s’en écarteraient. Et le mouvement de va-et-vient continue jusqu’à ce que, réduites à la dimension et au profil voulu, des cisailles mécaniques morcellent de place en place ces barres flexibles, qui vont aller grossir les tas voisins.

Si le spectacle de la traînée rapide des rails, des poutrelles à plancher, est saisissant, celui de réclusion du fil de fer est d’une grâce suprême : projeté par les lèvres du laminoir, il semble se jouer capricieusement dans l’espace, décrit des courbes folles, trace des arabesques incandescentes, infiniment variées, enfin s’enroule à terre, lassé, avec de jolis mouvemens d’étoffe qui s’affaisse. Ce fil rouge est traître pourtant, et les ouvriers ne le perdent pas de vue un instant. S’il venait, dans son trajet d’un appareil à l’autre, à sauter par-dessus le piquet de sûreté qui le maintient à distance, il couperait en deux le malheureux pris entre lui et la machine, comme un fil de chanvre coupe une motte de beurre. Aussi ce genre de travail, qui parait très simple, exige-t-il au contraire un apprentissage très long, où réussissent seuls ceux qui l’ont commencé presque enfans.

L’acier fabriqué par le procédé Bessemer convient parfaitement à ces divers usages. Pour les tôles, — depuis les feuilles aussi minces que du papier jusqu’aux plaques de 2 et 3 centimètres d’épaisseur ; — pour le matériel de guerre ; pour la confection des machines ; et en général pour tous les objets dont la valeur se compose de main-d’œuvre autant ou plus que de matière, on emploie l’acier Martin-Siemens. Il se fabrique au Creusot une égale quantité de l’un et de l’autre. Avec le système Bessemer on ne peut essayer le métal avant la coulée, pour y faire, s’il y a lieu, les corrections nécessaires. L’opérateur n’a qu’un moyen d’action : l’air atmosphérique qu’il insuffle en quantité et avec une pression variable. Avec le procédé Martin, il possède en outre la faculté de cuisiner son mélange à sa guise. Il y introduit, en proportion plus ou moins forte, soit du gaz comburant, soit de l’oxygène, représenté par des vieilles ferrailles et des rognures produisant de l’oxyde de fer, soit du carbone sous la forme de fonte très carburée.

Il est bon de remarquer ici que les divisions traditionnelles,