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un quart de siècle, apercevra les actionnaires dans une posture peu enviable. On y voit des aciéries, comme celles de Denain et Anzin, qui marchent depuis quarante ans sans avoir distribué un centime. Celle de Trignac (Loire-Inférieure), où la grève a fait quelque bruit il y a deux ans, a déboursé 32 millions, et, après quinze ans de luttes pendant lesquelles elle a payé 21 millions de salaires, sans que le capital eût produit aucun intérêt, a renoncé au fer, qui la mettait en perte.

On peut regarder comme normale la répartition de 6 pour 100 du capital versé… par les compagnies qui répartissent quelque chose ; le revenu moyen des sommes engagées dans la métallurgie est bien plus bas, attendu que beaucoup de compagnies ne répartissent rien du tout. Il en est ici comme pour l’extraction de la houille où, en regard de 174 mines en gain, figurent 123 mines en perte. Ces faits sont importans à connaître : « l’odieux capital », qui passe pour un richard sans entrailles, n’est souvent qu’un mendiant auquel personne ne s’intéresse. Loin qu’il « s’engraisse des sueurs du peuple, » selon la métaphore hardiment banale, c’est souvent le peuple qui « s’engraisse des sueurs » du bailleur de fonds ; puisque l’ouvrier touche un salaire, dont il peut économiser et placer une partie, pendant que les économies antérieures du capitaliste sont jour à jour dissipées par l’usine. Sait-on quelle est, d’après une statistique officielle, la situation exacte de l’industrie minérale française, dans son ensemble ? En compensant les gains et les pertes, le bénéfice net annuel ressort à 265 francs par ouvrier occupé. De sorte que, si toutes les mines de fer et autres — sauf les houillères — étaient purement confisquées demain par l’Etat collectiviste, sans aucune indemnité pour les propriétaires ; si le même Etat, par droit de conquête, s’emparait aussi du matériel ; s’il n’en résultait aucune perturbation sociale susceptible de paralyser l’exploitation ; si la discipline demeurait aussi rigoureuse, la gestion aussi prudente, l’initiative aussi éveillée ; en supposant tout ce qui précède, et en admettant des salaires et des frais généraux identiques, chaque ouvrier toucherait 205 francs en plus de ce qu’il reçoit aujourd’hui dans cette industrie.

Quoiqu’il n’ait pas été fait de calcul analogue pour la métallurgie proprement dite, je ne crois pas téméraire d’avancer que la situation y est à peu près semblable, avec cette différence que le salaire moyen y est plus élevé, parce que la proportion des femmes employées est moindre qu’ailleurs. Au Creusot, où la main-d’œuvre absorbe 18 millions de francs, la part de chaque ouvrier est de 1 400 francs en moyenne, et, si l’on défalque les apprentis, de 1 500, auxquels se joint la somme consacrée par la