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confirmations de ses lois. Il en a besoin, comme il a besoin des vertus : autrement il ne les aurait pas créés.

« Léo poussa un soupir de soulagement. Il ne s’était pas attendu à une interprétation si indulgente de la part du raide et vieux zélateur.

« Mais ce dernier refroidit aussitôt son enthousiasme :

— Ne te réjouis pas encore, dit-il, nous ne sommes pas au bout. Pourquoi il en est ainsi, nous ne pouvons pas le savoir : la case de notre entendement, est trop étroite. Mais pour que le péché ait réellement son bon côté, comme la vertu, et que le pécheur ainsi que le juste se courbent sous la même loi, Dieu a édifié l’ordre de la grâce… C’est-à-dire que chaque homme a droit à une mesure de péché déterminée, qu’il ne peut pas dépasser, sans quoi l’édifice entier s’écroule… Et c’est pourquoi il a institué le cercle suivant : Pécher, se repentir, faire pénitence, être absous, et là-dessus, avec une force nouvelle d’homme purifié, recommencer à pécher ; cela se passe ainsi partout… Tout reste donc dans l’ordre, et chacun s’en tient, à la mesure de péché qui lui est nécessaire, pour mettre son Adam en harmonie avec la loi chrétienne. Conclusion : Le péché fait partie de la vie, mais le péché sans la repentance, c’est la mort.

« Léo bondit et se mit à marcher à grands pas :

— Et c’est pour cette plaisanterie que tu veux me chauffer l’enfer ? cria-t-il.

— L’ordre de la grâce n’est pas une plaisanterie, répliqua le vieillard. Léo est de retour, m’a dit ta sœur certain matin ; il rit, il s’amuse, il se réjouit, tandis que moi je reste écrasée sous le poids de sa faute. Est-ce permis ? Non pas, ai-je répondu, nous allons le prendre. Car il faut qu’il se repente…

— Tu mens, cria Léo, en frappant du poing sur la table, ce qui fit danser les verres… Le repentir n’est pas nécessaire… Du moins pour moi… La force a sa propre morale, comme la faiblesse… Toi, tu dis : Pécher, se repentir, pécher de nouveau. Moi, je dis : Pécher, ne pas se repentir, faire mieux.

— Si cela se pouvait, ricana le vieillard.

— On l’aurait pu. J’avais arrangé tout cela… Il y a longtemps que j’étais au clair avec moi-même. Tu ne comptes donc pas pour une pénitence de vivre à côté de mon unique ami comme s’il n’existait pas dans ce monde ? Car je m’y étais résigné. Mais toi et les femmes en avez décidé autrement : vous m’avez poussé dans un chemin creux dont je ne vois pas l’issue et dans lequel on ne peut reculer… Chaque pas en avant est un mensonge… Chaque regard m’apporte une nouvelle angoisse… Quand je ne me repentais pas, j’étais gai, fort et brave, et maintenant il