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y a une goutte étrangère dans mon sang : elle se répand et empoisonne lentement tout mon être… Je le vois et je suis impuissant… Je tremble quand je pense à ce qui peut encore survenir… Voilà ce que vous avez fait avec votre maudit repentir.

— Il faut se repentir, Fritzchen, murmura le vieillard en vidant son verre.

— Bien ! mais s’il le faut, — il passa derrière le pasteur et le saisit par les deux épaules, — pourquoi ne m’avez-vous pas laissé porter seul ma faute ? Pourquoi me lancez-vous contre cette femme, à qui d’ailleurs — comprends-moi bien — je ne veux faire aucun reproche, car j’ai plus péché envers elle qu’elle envers moi ? Pourquoi m’avez-vous ainsi travaillé et préparé, de sorte que je me suis trouvé sans défense quand elle est venue mendier ma complicité ? Elle n’avait plus rien à chercher dans ma vie, ni moi dans la sienne, et maintenant il me semble que je suis de nouveau lié à elle. Cela appartient-il aussi au repentir, ce que vous m’avez obligé à faire ?

— C’en est le premier degré, appelé contritio ou écrasement, dit sérieusement le vieillard.

— Ne me parle pas comme aux petits enfans ! gronda Léo. Je te le demande encore une fois : Pourquoi me lances-tu contre elle ?

« Le vieillard s’essuya le front et se tut. Sa tête devenait lourde.

— Rappelle-toi, poursuivit Léo. N’était-ce pas une idée de ma sœur ?

— Quelle… sœur ? fit rêveusement le vieillard ; et, soudain réveillé, il s’écria :

— C’est juste, c’est très juste ! C’est elle qui en a eu la première l’idée, et elle avait raison : une idée lumineuse, une idée bénie… Car il y a deux âmes à sauver, Fritzchen. Et ce n’est pas peu de chose.

— Alors sauvez-les, par le triple nom du diable, mais chacune à ses propres risques et périls.

— Tu ne comprends pas, Fritzchen… Similia similibus, c’est une vieille sentence… Jésus-Christ s’est fait homme pour être le sauveur des hommes. Tu as poussé cette âme à l’abîme, il n’y « que toi qui puisses l’en retirer… et toi avec elle, car il est écrit dans l’Epître aux Romains… ou est-ce dans celle aux Corinthiens, Fritzchen ?…

« Il vida son verre et oublia là-dessus la sentence qu’il avait eu l’intention de citer. Plus difficilement s’assemblaient ses pensées, plus la solution du problème qu’il cherchait lui semblait aisée.

— L’histoire est toute simple, Fritzchen, dit-il ; tu peux l’apprendre par cœur : Ou tu ne te repens pas, alors le diable vient