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te chercher ; ou tu te repens, alors le diable ne vient pas te chercher… Si tu ne peux pas te rappeler cela, je l’écrirai pour toi… Donne-moi à boire, Fritzchen. Ce vin est excellent. Et si tu avais peut-être un petit pain au saumon… »


L’excellent pasteur continue à boire, à manger, à pérorer ; et quand, tout à fait ivre, il commence à ronfler, le remords est entré dans l’âme de Léo de Sellenthin. C’en est fait désormais de sa belle insouciance : il est hanté par le sentiment de sa faute, il va vouloir l’expier.

Hélas ! et sa bonne volonté ne servira qu’à lui préparer une nouvelle chute, car Félicitas l’aime encore, — si tant est que ce soit de l’amour. En tous cas, elle ne résistera pas à la tentation d’exercer sur un amant repentant son charme pervers et irrésistible. Elle feint d’entrer dans ses vues : c’est pour Ulrich et pour leurs familles qu’ils se réconcilient ; en se revoyant, comme s’il n’y avait pas entre eux de terrible secret, ils accomplissent un lourd sacrifice. Mais, dès leur première rencontre, ils évoquent imprudemment ce passé qu’ils ne peuvent anéantir et qui les rapproche. Comment, d’ailleurs, ne l’évoqueraient-ils pas ? Il faut bien qu’ils en parlent pour s’en repentir. Ils mettent en commun leurs regrets, leurs remords, leur désir de mieux faire. Mais ce qui est sincère chez Léo n’est que feinte chez Félicitas, qui est une dangereuse comédienne. Ils se sont à peine revus qu’ils flirtent déjà. Tout ce qu’ils disent les ramène à l’amour, et sans cesse ils sont amenés à rappeler leurs résolutions, qui déjà chancellent :


—… Non, sérieusement, continua-t-elle, des milliers de psychologues ont déjà dit que l’amour n’est qu’une guerre… La femme s’irrite de la convoitise de l’homme et ne voudrait pourtant pas s’en passer. L’homme s’irrite de la résistance de la femme et ne peut pas admettre qu’elle se rende sans lutte… Que c’est stupide… et vulgaire !… Et quand tout, tout est passé, qu’il ne reste plus que le souvenir du rêve de quelques belles heures…

— Et le repentir, ajouta-t-il, sombre.

« Elle le regarda, effrayée.

— Tu es cruel, murmura-t-elle en enroulant un ruban de sa robe autour de son doigt.

— Je voulais simplement, te rappeler, répliqua-t-il, que tout n’est pas entre nous comme cela devrait être.

— Comme si je ne le savais pas ! soupira-t-elle.

— Tu parles comme si nous étions des païens, des artistes ou des bohèmes, continua-t-il. Cela ne s’applique pas à nous… Nous sommes faits d’un tout autre bois… Il est vrai que nous avons