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la Suisse romande. Dans les pages qui suivent, j’essaierai d’en dégager les grandes lignes et d’indiquer les résultats d’une étude prolongée des documens que j’ai eus à ma disposition.


II

Cent ans après la mort des promoteurs et des chefs de la Réforme, l’enthousiasme qui les avait eux-mêmes soulevés s’était éteint dans les églises qu’ils avaient fondées en Allemagne et en Suisse : le bouillonnement des esprits y avait cessé, tout s’était tassé et aplati. Cet état de choses était fait pour déplaire à beaucoup d’âmes ; la vie chrétienne autour d’eux leur semblait offrir un aspect morne. Elles demandaient du nouveau, quelque chose qui les enflammât : de pareils désirs sont bientôt satisfaits. Un mouvement piétiste — à la tête duquel se placèrent quelques hommes dont Spener est le plus célèbre — agita l’Allemagne protestante à la fin du XVIIe siècle et se propagea rapidement en Suisse, à Zurich, à Berne. De petits groupes se formaient çà et là dans les villes et les campagnes ; on y voyait fleurir la vie religieuse, les idées mystiques, l’indépendance et la ferveur de la foi. Entre les membres de ces cénacles il y avait une intime communion d’esprit et des liaisons étroites. La piété était le premier intérêt de leur vie. Lire la Bible, s’entretenir avec des frères, assister aux assemblées de ceux qui partageaient leurs sentimens, chanter les beaux cantiques qui furent composés alors, se plonger dans la méditation solitaire des vérités éternelles, tels furent les plaisirs austères de beaucoup de personnes à qui les joies du monde étaient refusées. Elles se passionnaient pour les idées qu’on leur prêchait et d’après lesquelles, tout en adhérant aux dogmes traditionnellement inscrits dans des formulaires desséchés, il importait beaucoup davantage de goûter dans le secret d’un cœur fidèle la présence du Dieu vivant, qui est toujours près de ceux qui l’appellent.

Les écrits qui répandaient cette théologie, venaient toucher des sentimens qui dormaient au fond des cœurs, et qu’ils réussissaient à éveiller. Les prédicateurs qui adoptaient les idées de cette école étaient bientôt entourés de la sympathie d’auditoires recueillis, avides de leur parole. Quelques missionnaires allaient de lieu en lieu répandre la semence religieuse. Sur la frontière des pays romands, il y avait assez de gens sachant à la fois l’allemand et le français, pour que la limite des langues fût aisément franchie, et ne constituât pas un obstacle à la propagation des idées. Dans le pays de Vaud, la principauté de Neuchâtel, la