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à une compagnie privée l’exercice de droits qui ne sauraient appartenir qu’à lui. Certes, il ne faut pas le faire sans s’assurer des garanties, et surtout sans imposer des obligations et des charges ; mais il faut le faire, sous peine de confier à l’État l’accomplissement direct de mille fonctions qu’il remplit quelquefois très mal en France et qu’il remplirait beaucoup plus mal dans nos colonies. On parle de décentralisation : soit ! commençons par ne pas établir la centralisation au Congo et au Tonkin. M. Charles-Roux, à la fin d’un discours rempli d’observations intéressantes, a conclu en disant que nous n’avions su créer jusqu’ici que des colonies de fonctionnaires. Hélas ! ce n’est que trop vrai ; et quels fonctionnaires ! On a esquissé de quelques-uns d’entre eux des silhouettes qui, sans doute, n’étaient pas flattées, mais qui étaient encore moins édifiantes. Le gouvernement n’a qu’un moyen d’échapper, à des responsabilités très lourdes : c’est de les laisser à d’autres qui sont mieux à même de les porter. La mise en valeur de notre empire colonial est à ce prix. Mais nous sommes bien loin de l’ouverture et de la largeur d’esprit qu’exigent ces innovations ou plutôt ces imitations. Une grande compagnie, si nous en formons jamais, aura besoin d’un prodigieux courage pour accepter des mains de l’État la charte la mieux établie du monde : elle peut être sûre qu’au bout d’un an ou de deux, on demandera à la Chambre qu’une commission de trente-trois membres, pour le moins, examine sa gestion et y mette fin. Ni lord Clive, ni Warren Hastings, ni M. Cecil Rhodes dont nous voyons aujourd’hui les prodigieux succès, n’auraient été possibles avec un tel régime. En Angleterre, si les premiers ont été l’objet de vives attaques, c’est du moins après que leur œuvre a été terminée.

Le gouvernement a paru très hésitant et très faible dans la manière dont il a traité ces grands sujets. Les a-t-il même traités ? Il a eu l’air de promettre qu’il y aurait des concessions pour tout le monde, pour toutes les familles, pour les plus petites bourses, ce qui est un non-sens. En revanche, il a été plus net et plus résolu au sujet de l’armée coloniale. Interrogé en termes très pressans par M. Adrien de Montebello, M. le président du conseil a répondu que ses idées étaient arrêtées sur la matière et qu’il avait l’intention de réunir les troupes coloniales à la guerre. Cette réforme est sollicitée depuis longtemps par la commission de l’armée, et l’on a peine à comprendre qu’elle n’ait pas été réalisée déjà : elle est devenue encore plus urgente depuis qu’une loi, votée à la veille des élections dernières, a privé l’infanterie de marine de la source où elle se recrutait jusqu’ici. Elle se recrutait, on le sait, parmi les premiers numéros du contingent cantonal ; elle se recrute aujourd’hui par des engagemens volontaires avec primes ; mais le nombre en est insuffisant. Il ne le sera plus, on l’espère avec vraisemblance, lorsque les troupes coloniales, détachées de la marine