Je préfère ne pas écrire ce que je pense de Goya. Mais je soutiendrais volontiers que le musée de Madrid possède le plus beau tableau de Raphaël : simplement le portrait d’un cardinal inconnu, dont la tête patricienne exprime toute l’Italie. Que de chefs-d’œuvre aussi, de l’école flamande ou allemande ! Ce vieux van Eyck, par exemple, dans la salle Isabelle II : une femme assise lit un livre enluminé, un livre d’heures. Elle a un visage en losange, pâle, transparent et doux, coiffé d’une mousseline à grands ailes, à peine un peu plus blanche : sa robe bleue, son manteau vert aux plis cassés, rehaussé de broderies d’or, se tassent à ses pieds et font comme un massif autour de la haute chaise de bois. Ce doit être la fin de l’hiver. La jeune femme tourne le dos à un feu très soigné par le peintre, gerbe de flammes rouges, crochues, sifflantes, léchantes, qui montent entre deux chenets, dans la cheminée aux chambranles immaculés, lavés toutes les semaines. Elle n’attend personne ; son cœur bal lentement ; elle a fermé sa porte. Pour symboliser encore mieux la paix réglée de cette maison, son élégance très sage et la jeunesse pourtant qui fleurit en serre close, le maître tout naïf a mis près de la fenêtre, au fond, sur les dalles, un iris incliné, veiné de mauve délicat, et dont la tige plonge dans une eau invisible, qu’on devine toujours fraîche.
Ce tableau m’avait pris les yeux. J’avais vécu plus d’une demi-heure en Flandre. Quand je descendis les marches du musée, le soleil éclaboussait de rayons les façades du Prado, et, sous les arbres fanés de chaleur, les Madrilènes buvaient délicieusement la poussière.
— Les jeunes gens qu’on est convenu d’appeler de famille, que je rencontre ici plus nombreux peut-être qu’à Paris, offrent ce singulier phénomène de ne pas être complètement antipathiques. Les plus occupés sont titulaires d’un coin de bureau où ils ne vont pas. Pour la plupart, une utilité quelconque serait une déchéance. Ils éprouvent pour toute profession un dégoût instinctif renforcé par des traditions séculaires. Et malgré ce long désoeuvrement de la race, le type est demeuré énergique. L’expression est souvent fade, les traits ne le sont presque jamais. Ou devine chez ces jeunes gens un capital inutilisé de vaillance héritée. Ils ont l’air de bonnes épées qui ne servent pas. Supposez que l’éducation, lentement réformée, leur rapprenne la loi du travail, quel merveilleux tiers état surgirait dans ce peuple !
J’ai fait encore une autre observation d’esthétique. La différence caractéristique entre ; les races espagnoles et la nôtre, me semble être dans l’inflexion du sourcil. Chez l’Espagnol, le sourcil