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compositeur seulement : grand seigneur ; poète, critique, membre des conseils de la République, provéditeur en Istrie, camerlingue à Brescia — uomo universale, comme l’Italie de la Renaissance avait jadis appelé ses plus glorieux enfans — nul n’est plus digne de mémoire et d’honneur que Benedetto Marcello, patricien de Venise et prince des musiciens.


I

Le 24 juillet 1686, il naquit d’une noble race et pour une noble vie. Sa famille, sans remonter peut-être, ainsi qu’elle s’en flattait, à la gens Claudia Marcella, remontait cependant très haut : jusqu’au VIIIe siècle, affirme un historien de l’aristocratie vénitienne. Un Marcello fut doge en 1473 : c’est sous son principal que les Bellini peignirent dans la salle du Grand Conseil l’histoire de Frédéric Barberousse, et qu’il fut interdit aux doges de se faire désormais représenter sur les monnaies autrement qu’agenouillés devant saint Marc. Les parens de Marcello, tous deux illustres par le sang, n’étaient pas moins distingués par l’esprit. Sa mère, une Capello, laissa des poésies manuscrites qui par malheur ont péri dans l’incendie de la bibliothèque où elles étaient conservées. Son père était, au sens profond du mot, un dilettante. Il avait l’amour de toute beauté, tous les goûts avec quelques-uns des talens d’un artiste. Il jouait du violon, et lui aussi faisait des vers. C’est en artiste qu’il éleva ses trois fils, Benedetto, Alessandro et Girolamo. De bonne heure il leur imposa l’élégance et l’urbanité des manières et du langage. Il écarta soigneusement de leur enfance toute bassesse et toute vulgarité, ne souffrant, dans leurs discours ou leurs complimens de fête à leurs parens, rien qui ne sentît la politesse, la distinction et la grâce.

L’un des trois frères, Alessandro, apprenait le violon avec l’illustre Tartini. Benedetto lui aussi prit quelques leçons du maître ; mais les difficultés du mécanisme ne tardèrent point à le rebuter. Un de ses biographes, peu sensible apparemment aux beautés de la musique symphonique, déclare qu’il était destiné all’ altezza della musica vocale, et non aux semplici sinfonie istrumentali prive d’anima. Prive d’anima, privées d’âmes ! De cet étrange jugement j’en appellerais volontiers, ne fût-ce qu’aux sonates pour piano et violoncelle de Marcello lui-même. Bientôt, abandonnant le violon pour la composition, qui l’attirait davantage et peu à peu le prit tout entier, Benedetto se fit l’élève d’abord zélé, puis passionné jusqu’à la folie, de Gasparini, maître