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ce thème-là ne fournisse pas à l’inspiration lyrique d’assez nombreuses ressources, est-il bien en droit de se plaindre ? Sans doute il n’y a pour l’homme que deux manières de concevoir et de représenter Dieu : il faut ou le personnifier, ou « ne prendre son nom que pour synonyme d’Immanent et d’Inconnaissable »[1]. Et il est évident que de ces deux conceptions la seconde sera plutôt celle des philosophes et des métaphysiciens ; celle des artistes ne saurait jamais être que la première. Mais celle-ci même comporte une très grande variété. Du Dieu personnel, à la fois créateur et sauveur, du Dieu des humbles et des forts, du Dieu de la Bible et de l’Evangile, du Dieu qui pardonne et qui punit, les arts ont pu créer d’innombrables représentations ; le dogme chrétien est assez large pour les comprendre, les autoriser et les reconnaître toutes. Voilà comment le Dieu de Marcello n’est pas le Dieu de Palestrina, ou plutôt comment Dieu n’a pas été compris ni chanté de même par les deux musiciens. Ni les grands artistes ni les grands saints ne servent par des vertus ou par des chefs-d’œuvre identiques le Père dans la maison duquel il y a plusieurs demeures. Une cellule eût été la demeure de Palestrina ; ce qu’il fallait à Marcello, c’est un palais vénitien. La musique de l’un est toute contemplation, extase ; celle de l’autre est action, mouvement et transport sacré. Les motets, les répons de Palestrina méditent tout bas le Dieu qu’on adore : c’est vers le Dieu qu’on admire et qu’on glorifie sur les hauteurs, que s’élancent les Psaumes de Marcello.

Il en est peu d’intimes, Marcello n’étant pas un maître de la vie intérieure ; et puisqu’on l’a surnommé le Michel-Ange des musiciens, c’est aussi qu’il y en a peu de tendres ou de gracieux. Il y en a quelques-uns pourtant. Que le Psalmiste, détournant les yeux du Seigneur ou de lui-même, vienne à les reposer un instant sur la terre ; qu’il cherche près de lui, dans la fleur, dans le cours d’eau, de poétiques symboles, l’emblème de son âme, les images de sa propre faiblesse ou de sa fragilité ; alors et par exception la musique se fera plus modeste, plus humble ; elle respirera la fraîcheur et la paix ; elle trouvera des accens d’onction et de bénignité, et tel psaume, naïf comme un cantique, exprimera délicieusement la parfaite remise de l’âme entre les mains de Dieu et cet abandon que Fénelon souhaitait pareil à celui d’un petit enfant.

Mais plus que la douceur de Marcello, j’admire sa puissance : tantôt l’assurance de sa foi, l’impétuosité de sa prière, tantôt la

  1. Id. ; ibid.