puissant, il se déroule avec souplesse et dénote des qualités réelles d’observation et de peinture des caractères. »
Comment s’expliquer et cette faveur du public et ce concert de louanges de la critique ? D’abord par la curiosité qui s’attache à un écrivain nouveau, mais qui porte d’ailleurs un nom déjà célèbre dans les lettres. Le génie est solitaire en général, et sans ancêtres, comme sans héritiers. Le talent lui-même se transmet rarement par succession. Quand donc il arrive, par exception, qu’il ait illustré une même famille pendant trois générations, comme chez les Arnold, on est frappé de ce cas d’hérédité littéraire et on sait gré d’abord à qui porte dignement un grand nom, de n’avoir pas dégénéré de l’esprit de ses aïeux. Mais la principale cause du succès des écrits de Mme Ward, c’est qu’ils répondent bien au goût de nos voisins d’outre-Manche pour les ouvrages de controverse et les romans de doctrine. En effet, les Anglais, — et ce n’est pas un des moindres traits de leur originalité, — à côté de leur esprit pratique et même parfois si égoïstement utilitaire, ont une tendance idéaliste profonde. La vie matérielle, avec tout le luxe de confortable qu’ils ont su y introduire, ne leur suffit pas : ils ont besoin d’une échappée sur l’idéal. Est-il permis d’en voir une preuve dans cette profusion de plantes rares, de fleurs, de peintures et de gravures avec laquelle ils décorent leur home ? Mais là sans doute est la raison de l’intérêt passionné qu’ils prennent aux questions métaphysiques et religieuses. Le rideau qui nous cache l’au-delà les inquiète et les irrite, et toujours bienvenus sont auprès d’eux les prédicateurs, les artistes ou les romanciers qui, comme Bunyan ou Burne Jones, soulèvent un coin du voile et leur font entrevoir, comme dans un mirage, un meilleur avenir, « de nouveaux cieux et une nouvelle terre. »
Mary-Augusta Ward est issue de cette famille Arnold, qui a donné à l’Angleterre un éducateur et un poète de premier ordre. Qui ne connaît Thomas Arnold, le principal du collège de Rugby, le rénovateur de l’enseignement secondaire en Angleterre ? Et qui ne connaît Matthew Arnold, l’auteur de Littérature et Dogme, de Dieu et la Bible, et de ces poésies exquises, d’une saveur pénétrante et toutes débordantes de la nostalgie de l’idéal ? Thomas Arnold était le grand-père, et Matthew l’oncle de Mary-Augusta. Son père, Thomas Arnold, était inspecteur des écoles à Hobart (Tasmanie), quand elle naquit sur cette terre australienne, il y a quelque quarante ans. Il revint en Angleterre,