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lui la double joie de donner une leçon au vieil ordre de choses et de toucher le tréfonds de la sagesse humaine.

Cent ans ont passé : le travail des philosophes a porté ses conséquences, notre société est imprégnée de leurs doctrines et façonnée sur quelques-unes de leurs indications. S’ils ne s’abusaient pas en attribuant à la Chine le tour de pensée qu’ils souhaitaient donner à leurs disciples, nous devons être tous quelque peu Chinois ; plusieurs d’entre nous doivent l’être beaucoup ; et notre société ne peut manquer de ressembler par certains aspects au modèle qu’on lui proposait implicitement, dans le temps qu’on procédait à sa refonte. — Voyons si ces conjectures se vérifient dans les plus récentes observations que des Français ont faites sur des Chinois.

M. Famin a écrit un chapitre sur l’organisation civile de la Chine : elle découle tout entière du Hsiao, code de la piété filiale. On le savait ; mais notre officier a rajeuni son sujet en glanant quelques jolies légendes, consacrées à la glorification de cette vertu. J’indique les plus gracieuses. — Yen-Tsé avait une mère qui exprima le désir de boire du lait de biche. Il se revêtit d’une peau de cerf, il erra dans les bois jusqu’au jour où, familiarisé avec une barde de ces animaux, il put se procurer le breuvage demandé. — Tong-Yong, n’ayant pas les ressources nécessaires pour faire des funérailles convenables à son père, emprunta 10 000 sapèques contre sa liberté. Il s’affligeait d’être devenu esclave quand, à sa sortie des obsèques, il rencontra une femme belle comme le jour qui lui offrit sa main et remboursa la dette. Après un mois de lune de miel, elle remonta au firmament en disant à Tong-Yeng qu’elle était Tché-Nin, — l’étoile de la Lyre, — et qu’elle lui avait été envoyée par le Maître du ciel. — Ting-Lan, ayant perdu sa mère, fit une image de bois à laquelle il rendait tous les devoirs auxquels la défunte avait droit de son vivant. Un jour, comme il était absent, son voisin Tchang-Chou vint emprunter un objet : la femme de Ting-Lan consulta la statue avec les baguettes divinatoires ; sur le refus de la morte, elle ne voulut pas donner l’objet. Furieux, le voisin frappa l’image. Ting-Lan rentra peu après ; il remarqua l’expression irritée de la statue, il se fît conter la chose. Dès qu’il connut le nom de l’insu Heur, il s’arma d’un bâton et alla tuer le mauvais voisin. On le traîna devant le tribunal ; mais la statue, amenée comme pièce de conviction, se mit à verser des larmes si abondantes que les juges, touchés par ce miracle, acquittèrent le prévenu. — Il y a là toute une série de thèmes poétiques ; je renvoie le lecteur qui s’y plairait au livre du commandant, et je reviens à mon sujet.