Dans le cas présent, il se déliait des Valaques et des Moldaves, qu’il jugeait aussi prompts à détrôner un souverain qu’à l’acclamer. Il prévoyait des malheurs, une abdication forcée qui l’humilierait dans la personne de son jeune parent, sans qu’il pût lui porter secours. Et puis était-il digne d’un Hohenzollern d’accepter une situation dépendante, d’être le vassal du Grand Turc ? En vain le père et le fils travaillaient à lui arracher son consentement, il se dérobait.
Il fallait chercher un biais ; ce fut M. de Bismarck qui le trouva. Cette affaire tout d’abord l’avait laissé très froid, et il n’y apporta jamais aucune passion. Il ne voyait pas trop quel profit en pourraient retirer sa politique et la Prusse. Ainsi bien il avait d’autres soucis : il s’occupait de préparer sa grande entreprise contre l’Autriche. Mais après tout il savait que c’est avec les pions que se gagnent quelquefois les parties d’échecs, et pour employer son expression, il ne voyait aucun inconvénient « à créer une Belgique des bouches du Danube. » Le 19 avril, il reçut le prince Charles, eut avec lui un long entretien. Il ne le pressa point et n’eut garde de s’échauffer ; il lui par la sur le ton d’un Mentor circonspect et bienveillant, engagea Télémaque à se sentir, à se tâter, à s’assurer s’il était capable de courir de grands risques. Le voyant résolu : « Une nation vous a nommé son prince à l’unanimité ; répondez à son appel, partez sans retard pour Bukarest. » Et le prince ayant allégué qu’il ne pouvait se mettre en route sans le consentement du roi : « Vous vous trompez, et il ne tient qu’à vous. Demandez-lui un congé pour aller passer quelque temps en pays étranger. Je le connais, il est assez fin pour deviner votre projet. Vous lui épargnerez ainsi la peine de prendre une décision, et il vous en saura gré. » Le prince trouva le conseil bon. Le même jour il se rendit chez le roi, qui lui répéta une fois de plus qu’il était indigne d’un Hohenzollern d’avoir un sultan pour suzerain, après quoi l’ayant autorisé, sur sa demande, à prendre un congé, il le serra dans ses bras, en lui disant : « Que Dieu te garde ! » Et le prince partit pour son aventure, heureux de faire sa volonté et d’avoir obligé son roi, en le dispensant d’en avoir une.
L’aventure que courait le prince Charles pouvait mal tourner pour lui, elle ne pouvait avoir de funestes conséquences pour la paix de l’Europe. Au cours de son entretien avec M. de Bismarck, ce sage conseiller lui avait laissé entrevoir que sa détermination ne plairait pas à tout le monde, que la Russie en prendrait peut-être quelque humeur, qu’il en serait quitte pour demander la main d’une princesse russe, ce qu’il n’eut pas besoin de faire. En 1870, lorsque la couronne d’Espagne fut offerte au prince Léopold, frère aîné du prince Charles, la situation était tout autre. Il y avait alors un souverain qui ne pouvait à aucun prix consentir à ce que la Prusse donnât un roi à l’Espagne. Dans l’état de ses affaires, c’eût été pour lui non seulement un échec moral, une grave atteinte portée à son crédit, à son influence, mais un