le gouvernement italien sera-t-il d’humeur, par le temps qui court, à encourager de ses subventions la curiosité des archéologues ?
Peut-être de longues années se passeront-elles encore avant que le peuple italien soit définitivement renseigné sur les mœurs et le caractère des premiers habitans de la péninsule. Mais, en attendant qu’il connaisse ses prédécesseurs, de nombreuses occasions lui sont fournies tous les jours d’apprendre à se mieux connaître soi-même. Car il n’y a point de peuple qui aime davantage à entendre parler de son génie national, et il n’y en a point à qui ses écrivains en parlent plus souvent, ni sur des tons plus variés. Qu’il s’agisse d’économie politique, d’archéologie, d’histoire ou de philosophie, c’est toujours le point de vue patriotique qui domine dans les travaux des auteurs italiens. A leur pays ils rapportent tout. Et lors même qu’ils traitent de sujets étrangers, on peut être assuré que c’est encore pour aboutir, en fin de compte, à la glorification du génie de leur race.
C’est ainsi que l’un des philosophes les plus remarquables de l’Italie contemporaine, M. Luigi Ferri, s’occupe, depuis quelque temps, dans la Nuova Antologia, de rechercher pour ainsi dire les fondemens philosophiques du caractère italien. Toute race, d’après lui, porte en soi une philosophie spéciale qui résulte de son tempérament, et qui se reflète ensuite dans ses pensées. Cette philosophie naturelle peut bien se modifier en apparence sous l’effet de systèmes importés du dehors ; mais au fond elle est immuable, et un moment vient où les systèmes, à leur tour, se modifient pour s’adapter à elle. Or les traits dominans de l’esprit philosophique italien sont, d’après M. Ferri, un attachement très solide à l’apparence objective du monde, un besoin naturel d’ordre et de mesure et une certaine inaptitude à la combinaison de vastes synthèses idéales. Par ce dernier point l’esprit italien se distingue de l’ancien esprit classique, mais il a en commun avec lui ce profond amour de la beauté qui jadis avait porté les Grecs à identifier la beauté avec le bien même.
Aussi les Italiens, durant tout le cours de leur histoire, n’ont-ils jamais pu concevoir d’autre morale que cette morale esthétique. « Toujours ils ont été guidés par les idées de beauté, de perfection, de béatitude, leur subordonnant toute idée de devoir ou de bien absolu. » Et dans les divers systèmes philosophiques qu’ils ont successivement adoptés c’est toujours cette conception de la morale qu’ils ont inconsciemment transportée. Ainsi ils ont pu, au moyen âge, passer du platonisme au péripatétisme, parce que dans l’une comme dans l’autre de ces deux doctrines ils trouvaient une morale identifiant le bien avec la beauté et fondant le devoir sur l’attrait de l’idéal divin.