n’est pas, par le temps qui court, un mince éloge à faire d’une loi.
Les événemens, ou, si l’on préfère, les incidens qui se passent en Allemagne jettent un jour tout à fait imprévu sur l’état moral de ce pays, ou peut-être seulement de ceux qui président à ses destinées. On connaît les faits. Le prince de Bismarck aura quatre-vingts ans le 1er avril. Le président du Reichstag, M. de Levetzow, a proposé à l’assemblée d’envoyer à l’ancien chancelier ses félicitations et ses vœux. Sa voix tremblait un peu, dit-on, lorsqu’il a présenté cette motion : c’est qu’il prévoyait qu’elle allait rencontrer beaucoup de résistance, et, en effet, à la fin d’une des séances les plus agitées que l’on ait encore vues en Allemagne, la motion a été repoussée. Aussitôt, M. de Levetzow a donné sa démission. L’émotion a été immense à Berlin et dans le pays tout entier. L’empereur en a pris sa large part : il a envoyé à Friedrichsruh un télégramme où il exprimait, au nom de tous les princes et de tous les peuples allemands, sa profonde indignation. La réponse de M. de Bismarck est des plus remarquables. Il remercie son souverain d’avoir changé pour lui en une vive satisfaction ce qui aurait pu être une « contrariété » causée par ses anciens adversaires politiques. Le mot de contrariété appliqué à la circonstance est, dans son genre, admirable : on y retrouve tout le dédain de M. de Bismarck pour les assemblées en général, et pour ses adversaires politiques en particulier. Il était impossible de réduire l’affaire à des proportions plus insignifiantes. Mais l’empereur ne l’entendait pas ainsi. Il voulait donner le plus grand éclat à sa protestation contre le vote du Reichstag, et il s’est rendu lui-même à Friedrichsruh, où il a échangé avec le prince de Bismarck des discours qui ont retenti dans toute l’Allemagne. La veille, le vieux chancelier avait reçu déjà une députation de la minorité du Reichstag et de la majorité du Landtag de Prusse et de la Chambre des seigneurs. Sa retraite où il est resté si isolé, si abandonné pendant quelques années, s’est trouvée subitement envahie par des visiteurs empressés. Les députations parlementaires avaient de la peine à contenir leur enthousiasme : étrange contraste avec le silence absolu des Chambres, il y a cinq ans, lorsque l’illustre chancelier est tombé subitement dans la disgrâce ! Quant à l’empereur, il est descendu de wagon à la gare prochaine afin d’arriver à Friedrichsruh à la tête d’un imposant cortège militaire qui représentait, a-t-il dit, l’armée tout entière. Les trompettes sonnaient aux champs, la poudre même a parlé, il y a eu de bruyantes salves d’artillerie. Mais de tous ces bruits nul autre n’a porté aussi loin que celui des harangues impériales et des réponses de M. de Bismarck. Jamais l’empereur, qui est un grand romantique, et dont l’esprit, comme celui de tous les souverains de sa race, est hanté par une sorte de mysticisme militaire et féodal, n’avait fait résonner dans un discours autant de fanfares