L’œuvre de Folard souleva d’ardentes polémiques. Elle répondait aux aspirations secrètes de bien des esprits, et donnait corps à bien des opinions qui n’osaient s’affermir. L’approbation du maréchal de Saxe acheva de la mettre en relief. Elle fut le point de départ de la querelle qui divisa si profondément les esprits dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
La tactique du choc reprit vite faveur dans notre armée ; peut-être même l’eut-elle aisément emportés sur la tactique linéaire si celle-ci n’avait reçu tout à coup une consécration inattendue des brillantes victoires de Frédéric II. Tel fut l’éclat de ces triomphes, tous remportés dans l’ordre linéaire le plus pur, qu’il suscita en Europe un irrésistible courant d’imitation et qu’il assura à cette tactique un ascendant qui devait la perpétuer jusqu’aux temps modernes.
Ces victoires, cependant, ne parvinrent pas à convertir à la tactique prussienne tous ceux que les écrits de Folard en avaient détachés. Une école resta, vivace et irréductible, qui continua d’affirmer hautement la supériorité de l’ordre perpendiculaire, que son chef, Dumesnil-Durand, appelait fièrement « l’ordre français ». Malgré l’opposition du haut commandement, malgré les efforts d’officiers généraux renommés, comme Saint-Germain ou Guibert, cette tactique ne cessa de gagner des adeptes dans les rangs inférieurs de l’armée. Elle eut la bonne fortune de trouver un appui inattendu chez le maréchal de Broglie, et s’il ne put sur le moment la sauver de la défaite officielle, son assentiment public la fit vivre dans les esprits et assura son triomphe dans l’avenir.
Déjà en 1791 l’opinion fut assez forte pour contraindre les rédacteurs du nouveau règlement à admettre les tirailleurs, et l’article 13 de la cinquième partie de l’ordre de bataillon autorisa la formation du bataillon en colonne serrée pour l’attaque. Ce n’était encore là à vrai dire qu’une satisfaction toute platonique, car le règlement de 1791 dans son ensemble était rigoureusement fondé sur les principes de l’ordre linéaire : l’ordonnance ne tenait en pratique aucun compte de la concession théorique qu’elle avait dû faire à la doctrine du choc. On n’admettait la colonne que pour satisfaire l’opinion générale ; mais celle-ci était fixée dès ce moment, et l’ordre profond, — officiellement condamné, — conservait néanmoins toute la faveur de l’armée.
Moins de deux ans plus tard, en 1793, il ne restait plus à la tête de l’armée un seul des rédacteurs ni des inspirateurs du règlement de 1791. La Révolution avait fait table rase de l’Etat-major de l’armée royale, et du même coup elle avait fait disparaître tous les fervens apôtres de l’ordre linéaire, tous les