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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/799

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échelonnement sur le terrain en profondeur par petits groupes que leur exiguïté permet de dérober aux vues de l’adversaire et que leur mobilité rend moins vulnérable à ses coups.

Ces procédés sont notoirement insuffisans pendant la deuxième phase. À ce moment, l’assaillant s’engage sur un terrain généralement découvert et souvent uni ; le feu de la défense acquiert une efficacité qui serait réellement écrasante si le tireur conservait son sang-froid et ne commençait pas dès lors à s’inquiéter sérieusement de l’issue de la lutte. C’est la marche en avant qui a commencé cet ébranlement moral, c’est elle qui doit le poursuivre. Il ne s’agit plus autant de diminuer les effets du feu que d’avancer, d’avancer toujours. On évitera les pertes inutiles, mais on n’hésitera pas devant les sacrifices nécessaires.

Mais, de quelque énergie qu’on suppose les hommes animés, il viendra un moment où devant l’émotion d’un danger grandissant, l’instinct de la conservation l’emportera ; où les tirailleurs, puisque ce sont eux qui forment la ligne de combat, s’arrêteront, s’embusqueront sur le terrain et se mettront à tirer. « Ils ne s’arrêtent pas pour tirer, disait Dragomirof : ils tirent parce qu’ils s’arrêtent. »

Par le fait même, la défense a atteint son but, elle tient l’assaillant sous son feu, elle se sent maîtresse de la partie. Que faudra-t-il pour lui enlever ce sentiment ? Reprendre la marche en avant.

Mais comment relever les tirailleurs couchés et embusqués ? quelle force les décidera à quitter de nouveau leurs abris pour se lancer au-devant de nouveaux coups ? D’où viendra l’élan, qui donnera l’impulsion ?

C’est alors qu’entrent en scène ces petits groupes de force variable qui sont échelonnés derrière la ligne des tirailleurs et qu’on désigne sous le nom général de soutiens. Pendant la première phase, pour échapper aux effets du feu, ils se sont dispersés sur le terrain, mais ils sont restés compacts, dans la main de leur chef, attentifs à sa voix et surtout à son exemple. Lorsque les tirailleurs s’arrêtent, ils arrivent un à un sur la ligne et ils s’y jettent à leur tour.

Leur arrivée renforce la ligne et augmente son feu ; mais là n’est pas le premier but de leur entrée en ligne : ils doivent surtout entraîner la chaîne en avant, lui rendre l’impulsion perdue. Ils sont en groupe compact ; leur exemple parle aux yeux comme aux cœurs. Pour les suivre, car ils ne s’arrêtent pas en arrivant en ligne, les hommes couchés ou embusqués se lèvent, et tous ensemble marchent résolument en avant jusqu’au moment où cet effort nouveau est épuisé à son tour, où cette impulsion