où des gens réputés fort habiles en affaires se permettaient l’excentricité de la polygamie ; mais l’excursion, qui ne devait durer que quelques semaines, se prolongea pendant un an, la société mêlée des Saints, des Gentils et des Apostats intéressant au plus haut degré la voyageuse. Elle commença par être dupe de la prospérité matérielle du pays et de l’union apparente des familles où, par pure dévotion, plusieurs épouses s’attachaient à faire le bonheur d’un seul mari qui, de son côté, semblait n’avoir pour but, en prenant cette charge, que d’assurer le salut éternel à de pauvres femmes incapables de gagner le paradis toutes seules ; puis peu à peu, en observant, en recevant des confidences, elle découvrit les misères, les dégoûts, les infamies de ces harems censés chrétiens, fondés sur l’odieuse loi qui se résume en ces mots : « Si une femme refuse de donner d’autres épouses à son mari, il aura le droit légitime de les prendre sans son autorisation, et elle sera détruite pour avoir manqué à l’obéissance. » Le cri d’indignation qu’elle poussa lui fît autant d’ennemis qu’elle avait eu d’amis jusque-là parmi les Mormons ; mais Kate Field est intrépide ; elle se moqua des anges exterminateurs qui interviennent quelquefois, paraît-il, pour fermer la bouche aux imprudens ou arrêter les pas des déserteurs, et elle commença une série de conférences prononcées dans différentes villes. L’intérêt qu’excitaient ces dénonciations amusantes ou terribles parties de la bouche d’une personne qui arrivait de l’enfer polygame ne fut pas sans mélange de scandale, car elle osait tout dire, et dire tout ce qui se passe chez les Saints des derniers jours est fait pour choquer de chastes oreilles. Ce que Kate Field entreprit de plus brave fut lorsqu’elle alla relancer le monstre dans son antre, la Cité du Lac Salé, attaquant les Mormons avec véhémence chez les Mormons eux-mêmes. La première fois que je vis cette héroïne à Washington, elle fulminait contre le vote presque unanime par lequel la Chambre venait d’admettre leur territoire au rang d’État.
« Si le Sénat y prête les mains, disait-elle, il n’y a aucune raison pour que les prophéties de ces coquins ne se réalisent pas : nous les verrons établir sur la terre ce qu’ils appellent le royaume de Dieu ; j’ai toujours répété que l’église mormonne était la plus merveilleuse organisation qui fût au monde, en voilà bien la preuve ; le lion s’est dérobé sous une peau de renard, la polygamie a fait trêve, sans être abolie pour cela, car de bonne foi elle ne peut l’être en cette génération-ci, tant que vivront des femmes qui ont consenti à devenir seconde, troisième, quatrième, sixième ; épouse et ainsi de suite ad libitum. Que deviendraient ces malheureuses ? Les planter là comme certains, je n’en doute