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d’amusement ravi avec lequel un groupe pittoresque de loqueteux coiffés de chapeaux informes regardait, à l’heure de la promenade du monde élégant, passer des cavalcades dans les allées plantées d’arbres qui se déroulent autour de l’obélisque. Les enfans et leurs poneys les enchantaient surtout. Ils les suivaient de l’œil avec d’affectueuses exclamations ; l’un d’eux, dont la peau noire apparaissait partout, comme des pièces d’étoffe sombre mises à un vêtement plus clair, lamentablement ivre, se frappait d’aise sur les cuisses en admirant le temps de galop d’un petit garçon qui avait perdu son chapeau dans l’ardeur de la course ; n’y tenant plus, il essaya de me faire partager son enthousiasme : D’ont he hâve a race there ! s’écria-t-il, toutes ses dents dehors, en agitant une lanterne éteinte qui paraissait être son seul bien en ce monde. Cette sympathie prompte, cet intérêt pris aux plaisirs des riches, sans arrière-pensée, sans envie, est sans doute aussi un signe caractéristique, un excellent signe qui me toucha fort.

Je fréquentais, par protestation, l’église de couleur, la belle église de Saint-Augustin, où le grand évêque d’Afrique apparaît au-dessus de l’autel, entre saint François-Xavier et un nègre en habit de dominicain, sa tête laineuse glorieusement nimbée d’or. Des voix de femmes, tendres, expressives et connue veloutées chantaient à l’orgue et je me rappelle un fougueux sermon, dirigé en partie contre la loi de Lynch, qui me fit grand plaisir. Le clergé noir et mulâtre, dont l’éminent cardinal Gibbons parle avec tant d’éloges, fournit de bons prédicateurs : leur parole ardente répond au tempérament de ceux qui les écoutent. Assemblée très recueillie, très nombreuse, composée en majorité de gens qui semblaient représenter une bourgeoisie fort à son aise, cette bourgeoisie même que le club d’anthropologie invitait à une charité mieux organisée en faveur de la plèbe immonde qui ne lui ressemble que par la couleur.


III. — L’ÉCOLE INDIENNE DE CARLISLE

— Il faudra, m’avait répété plusieurs fois miss Fletcher, si vous voulez avoir vraiment l’idée de ce que sont les Indiens, aller à Carlisle et causer avec le surintendant de l’école, capitaine Pratt.

L’histoire du capitaine Pratt se rattache à celle du général Armstrong[1]. Cet officier de l’armée des États-Unis pouvait se vanter d’une expérience déjà longue de la vie de frontière lorsqu’il commença son œuvre admirable en 1875 avec les

  1. Condition de la femme aux États-Unis, Revue du 1er décembre 1894.