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large part, dans des familles où l’on vit du travail quotidien, souvent du travail manuel, connue le faisait ce tanneur d’Arbois auquel nous devons M. Pasteur ; des bourses dans les lycées en facilitent l’accès aux jeunes gens pauvres, qui ont du talent et de la volonté. C’est une institution démocratique. Pourquoi la démocratie victorieuse ne continuerait-elle pas à lui témoigner la bienveillance que lui ont toujours prodiguée les gouvernemens libéraux ? La démocratie a besoin d’une élite, qui y représente la seule supériorité qu’elle reconnaisse, celle de l’esprit. C’est à nous de recruter cette élite, ou, pour parler plus modestement, de travailler à lui fournir quelques-uns des élémens qui serviront à la constituer. Nous n’y pouvons mieux réussir qu’en nous rendant de plus en plus dignes des avantages que nous garantit la munificence de l’État. S’il ne dispense plus nos élèves du devoir militaire, auquel nul aujourd’hui ne peut ni ne veut se dérober, il les appelle à Paris et les place dans le centre des études ; il les met à l’abri, pendant trois ans, des soucis de la vie matérielle ; il leur assure, pendant ce temps, les leçons de maîtres éprouvés qui se donnent à eux tout entiers, la jouissance des collections et des laboratoires, celle d’une admirable bibliothèque. C’est à eux de ne pas se montrer indignes de leurs aînés, d’entretenir cette flamme subtile et vivace, l’esprit même de l’Ecole, qui s’est transmise jusqu’ici, comme le flambeau dont parle le poète, de génération en génération.

Les destinées de l’Ecole ne seraient compromises que le jour où les intelligences s’y endormiraient, où s’y éteindrait l’ardeur de la sainte curiosité, où, par l’effet de je ne sais quelle anémie que nous n’avons aucune raison de prévoir, la vie s’en retirerait. « Vous êtes le sel de la terre, pouvons-nous dire, pour parler la langue de l’Évangile, à nos élèves d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain ; mais si le sel perd sa saveur, qui la lui rendra ? »


GEORGES PERROT.