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Former un ministère, non pas avec des hommes incolores, mais avec des hommes sérieux, pouvant s’imposer, ayant des idées à eux et prenant toute la responsabilité de leurs actes. Un semblable ministère, ayant toute la confiance du roi, dès qu’il aurait prêté serment, se réunirait et déciderait ce qui suit : Dissoudre la Chambre immédiatement et convoquer une Assemblée nationale ; en même temps rendre des décrets réalisant plusieurs réformes et abolissant des lois défectueuses.


En présence de cette déclaration de l’amiral, le journaliste s’écrie : « Mais c’est un coup d’Etat ! — Parfaitement. — Et le peuple ? — Le peuple ne bougera pas. Par les décrets qui seront rendus, il verra qu’on poursuit un but patriotique et qu’on veut son salut. »

Apres beaucoup d’autres explications sur lesquelles nous passons, le journaliste reprend :

— Pourquoi le roi n’a-t-il pas adopté vos idées ?

L’AMIRAL. — Parce que, sans doute, par principes, il est pour les moyens doux.

LE JOURNALISTE. — Est-ce qu’il ne veut pas de la convocation d’une Assemblée nationale ?

L’AMIRAL. — Le Roi veut et souhaite que les hommes politiques comprennent eux-mêmes que nous sommes dans une mauvaise voie, qu’ils entrent d’eux-mêmes dans une meilleure voie et que le pays soit sauvé par les moyens constitutionnels, tandis que, moi, je ne l’espère pas.


Puis après avoir raconté une conversation qu’il a eue, dans le même ordre d’idées, avec les députés sortans de la capitale, qui appartiennent au groupe des Indépendans et qui voulaient le mettre sur leur liste, l’amiral conclut de la manière suivante : « On dit que mes idées ne sont pas encore mûres. Eh bien ! elles mûriront. »

C’est aux Hellènes à se prononcer sur la question posée avec tant de netteté par l’amiral Canaris. Quant à nous, qui envisageons surtout la situation du royaume hellénique dans ses relations avec l’Occident et particulièrement avec la France, nous nous bornons à former un vœu : c’est que la Grèce, soit par les moyens doux que le roi paraît préférer, soit par le remède radical que propose l’amiral, arrive à constituer une administration régulière, économe et prévoyante, qui lui permette de se faire relever de sa faillite par une entente avec ses créanciers. Le but vaut la peine d’être poursuivi et pourrait être atteint ; car la Grèce n’est pas un pays dépourvu de ressources, comme on paraît disposé à le croire en Occident. Le mal est dans les hommes politiques et dans les institutions politiques. Il n’est ni dans la nature du sol ni dans les dispositions de la race, qui a de réelles qualités et une grande aptitude au progrès.