démonstration d’une théorie reposant non sur des choses vues et sur des faits d’observation, mais sur une conception de l’esprit. C’est le système de la pièce à thèse, inauguré déjà dans le Fils naturel et auquel M. Dumas ne cessera plus d’être fidèle. Je n’ai garde de condamner ce système. Bien au contraire, j’y vois pour la comédie un progrès, l’acquisition d’un élément important. La discussion des questions sociales, c’est une province nouvelle que s’adjoint le théâtre et qui était véritablement de son domaine. Car on ne peut se borner à peindre toujours ce qui est sans en venir à regarder par de la vers ce qui devrait être. L’institution sociale étant, à la manière des choses humaines, toute remplie d’iniquités, on ne peut se borner à les constater, mais il faut qu’on cherche le moyen de les réparer. M. Dumas réclame justement pour le théâtre le droit d’agiter non plus des grelots, mais des questions. Et cette prédication morale qu’on lui a si souvent reprochée, dont on s’est tant et si indûment moqué, est ce qui donne à son œuvre sa saveur. Encore faut-il constater qu’à mesure qu’il faisait servir le théâtre à la démonstration de ses idées, M. Dumas se détournait davantage de l’observation et apprenait à se passer de la réalité.
Demandez-vous en effet qui sont ces personnages qu’il charge de défendre ses théories. Ce qui les caractérise c’est précisément l’absence de toute individualité. Ils n’ont aucun des signes par où la vie se reconnaît. Ils sont des argumens qui marchent. Diderot réclamait qu’on substituât la condition au caractère : c’est ici en effet la condition qui détermine le caractère. Clara Vignot est la fille-mère ; donc elle sera cou rageuse, dévouée, désintéressée, irréprochable, modèle à faire pâlir toutes les épouses et à humilier toutes les mères. Jacques est le fils naturel : donc il sera la loyauté, l’honneur, la passion, l’intelligence. Sternay est le père qui a abandonné son fils : donc il sera la lâcheté, l’insouciance, l’égoïsme. Il en est ainsi et il ne pouvait en être autrement. Car dans l’ordre de la vie tout est changeant et variable à l’infini ; mais dans l’ordre de la logique la vérité estime et sans nuances. Dans les Idées de Mme Aubray, cette Mme Aubray est-ce une femme pareille aux femmes que nous connaissons, capables d’élans généreux et de retours mesquins, d’inspirations hardies et de calculs timides, et faite enfin de contradictions ? Mais elle n’a d’une femme mortelle que la figure et le nom. C’est avec raison qu’on la qualifie d’être une sainte et d’être un ange. Elle est en fait la Charité chrétienne descendue parmi nous. D’une idée il ne peut sortir qu’un être de raison. Tel ce Camille qui n’a été mis au monde que pour appliquer les idées de Mme Aubray. Et cette Jeannine enfin, d’où vient qu’elle nous reste si mystérieuse et que nous n’arrivons pas à nous en faire dans notre esprit une image précise, sinon de ce qu’elle est tout uniment une personnification de la faute ? Il serait aisé, mais peut-être est-il inutile, de prolonger cette