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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 avril.


La situation respective de la France et de l’Angleterre en Afrique vient d’être l’objet d’un double débat à Londres et à Paris. Le caractère en a été très différent dans les deux pays. Autant il a été vif, passionné, incorrect en Angleterre, autant il a été chez nous calme et mesuré dans la forme, bien que très net et très ferme dans le fond. On répète encore volontiers au dehors, sans doute par habitude, que la France est un pays de premier mouvement, et que ce mouvement est violent. Il y a dans tous les pays, et nous n’avons pas la prétention d’échapper seuls à ce fléau, des orateurs inconsidérés, qui gouvernent mal leurs idées et encore moins bien leurs paroles ; mais ils ne parlent que pour leur compte, ils n’engagent pas le gouvernement. Bien qu’il ait occupé autrefois de hautes situations officielles, nous nous serions peu émus du discours prononcé à Londres par sir Ellis Ashmead-Bartlett, puisqu’il n’en occupe plus aujourd’hui. Le major Darwin est le fils d’un savant illustre, mais cette circonstance ne lui donne aucune autorité particulière en politique, et ses sentimens à notre égard nous laissent aussi indifférens que la manière dont il les exprime. M. Chamberlain lui-même, personnage beaucoup plus considérable, plus important, plus influent, malgré ce que sa situation politique a d’équivoque et comme de déclassé, M. Chamberlain fait partie de l’opposition : qui sait s’il tiendrait, au gouvernement, le même langage qu’aujourd’hui ? De tous les pays du monde, c’est peut-être de l’Angleterre qu’il est le plus vrai de dire, suivant le vieux mot de Mirabeau, qu’un jacobin ministre n’y est pas un ministre jacobin. Nous y avons vu les métamorphoses les plus soudaines suivant qu’un homme était ou n’était pas au pouvoir. En somme, un seul discours nous touche parmi ceux qui ont été prononcés : c’est celui de sir Edward Grey.

Sir Edward Grey est sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères. Sa parole n’est pas la sienne propre, mais bien celle du ministère. Aussi l’opinion publique en a-t-elle été, chez nous, très vivement choquée. Cependant elle s’est contenue, et on n’a pas vu se produire une de ces explosions spontanées qui aurait été, cette fois, si légitime. M. Hanotaux a eu l’habileté d’annoncer tout de suite que des explications seraient fournies par lui à la tribune, et cela a suffi pour tenir les esprits en suspens pendant quelques jours. Nous avons donné