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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/952

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pourquoi pleures-tu ? Mais du faîte à peine touché, déjà le flot retombe : à l’admirable élan succède une chute sublime. Des gammes s’épanchent et ruissellent, comme en certains tableaux la fauve chevelure de Madeleine. Les deux mouvemens sont également beaux, également vrais, et la douleur les connaît tous deux, car elle exalte l’âme et elle l’abat. Alors vient le colloque en deux mots seulement, Jésus disant : Marie, et Marie disant : Maître. Alors ce sont quelques lignes, moins que cela, quelques mesures sans pareilles, des accords inouïs et, comme eût dit Chateaubriand, des harmonies d’immensité. Rien que des accords parfaits, mais si profonds, si étranges, si lointains, si pleins de divin reproche et de tremblante extase ! Wagner en vérité, le Wagner de Lohengrin et de Parsifal, n’a rien trouvé de plus surnaturel que ces naïves et sublimes consonances. Faut-il donc, en musique même, dénoncer la banqueroute de la science, puisque, il y a trois siècles, pour créer de telles merveilles, il a presque suffi de la foi ?

Noli me tangere ! Quelles harmonies encore ! Quelle dignité dans la défense et, comme disait Lacordaire, dans la restriction de l’ancienne familiarité et de la tendresse éprouvée autrefois ! Jésus pourtant, par un suprême égard pour celle qui l’aima, laisse flotter d’abord sur l’annonce de son Ascension prochaine une ombre de regret. Ombre furtive, car déjà sa divinité ressaisit tout entier l’Homme-Dieu. Elle éclate en une péroraison splendide, adieu tonnant à la terre que le Christ abandonne, salut triomphal au ciel qu’il regagne. Nous parlions tout à l’heure de Wagner. Il n’est personne dont on ne pourrait ici parler. Nous l’avons entendu, ce Dialogue de Pâques, non pas dans la salle de la rue Rochechouart, mais dans la pauvre salle de la maîtrise, ou, comme on disait naguère, dans la « psallette » de Saint-Gervais, une mansarde voûtée et gothique, collée au flanc humide de la vieille église. M. Bordes nous y avait convié par un matin pluvieux et triste. Mais l’heure passée en ce réduit, je dirais presque en ce taudis sacré, devant un harmonium usé, haletant, cette heure d’initiation et de surprise ravie fut de celles qui jamais ne s’oublient, de ces heures lumineuses qu’on voudrait fixer avec une épingle d’or. Il n’y avait entre le sanctuaire et nous que l’épaisseur d’une muraille et, pendant que le sublime dialogue se déroulait, nous crûmes deux fois sentir le voisinage de Dieu, dans le temple prochain et dans le génie du vieux maître.


CAMILLE BELLAIGUE.